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samedi, 10 août 2019

« Projet République » à Caen, l'enjeu des 1000 euros

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L'enjeu des 1000 euros

Nous avons reçu le 25 juin, par courrier recommandé comme il se doit, la décision du Tribunal administratif de Caen concernant le recours en excès de pouvoir que nous avions introduit devant cette juridiction le 29 mars 2018 (suite au rejet d'un recours gracieux préalable) pour contester la légalité de la délibération du 6 novembre 2017 du conseil municipal de Caen.

Une délibération par laquelle celui-ci demandait l'autorisation d'abattre 49 tilleuls plantés depuis près de sept décennies sur la partie ouest de notre place de la République, entre la Poste, la Préfecture et la rue St Jean Eudes.

Le Tribunal administratif nous avait d'abord informé, par courrier LRAR du 5 juin, de sa décision d'examiner cette affaire, avec d'autres (relatives elles aussi à la question du devenir de la place de la République), lors d'une audience fixée au 20 juin. Mais, par une nouvelle lettre recommandée du 7 juin, il nous informait d'un renvoi d'audience à une séance ultérieure, sans autre précision.

 

Requête irrecevable après 15 mois d'instruction

Étrange changement de point de vue du Tribunal en quinze jours, après 15 mois d'instruction. Nous apprenions en effet le 25 juin qu'il n'y aurait pas de séance ultérieure, et que l'affaire avait été réglée par une Ordonnance datée du 21 juin 2019 (copie suivant liens ci-dessous), prise en application des dispositions de l'article R.222-1 du Code de justice administrative (CJA).

Notre requête était « manifestement irrecevable » car la délibération attaquée « simple acte préparatoire de l'autorisation sollicitée » n'avait « nullement pour effet de permettre l'enlèvement de ces arbres, une autorisation du préfet étant nécessaire... ». Cette autorisation (préfectorale) était donc la seule décision qu'il fût possible de contester (et l'a d'ailleurs été par un autre recours, non encore jugé).

L'Ordonnance précisait enfin que : « Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme Hergas la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Caen pour la présente instance » (art. L.761-1 du CJA).

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Le prix du droit à la contestation citoyenne

Cela valait-il donc la peine de contester la légalité de cette délibération du 6 novembre 2017, quand nous savions d'avance que l'hypothèse la plus probable était à terme le rejet de notre requête ? Sans doute, car faute de réaction (la nôtre, comme aussi le recours collectif dirigé contre la décision grossièrement illégale d'autorisation, prise d'autorité, le 19 janvier 2018, par M. LAPRIE-SENTENAC, Architecte des Bâtiments de France, en lieu et place du préfet) les tilleuls de la place auraient déjà disparu, des fouilles (inutiles mais fort coûteuses, de 300 000€ environ, aux frais du contribuable bien sûr) auraient déjà eu lieu, et on aurait peut-être déjà commencé à creuser le trou de ce nouveau parking souterrain que rien ne justifie, et surtout pas les réflexions menées à l'occasion des travaux d'élaboration (en cours) du nouveau Plan de prévention multirisques de la basse vallée de l'Orne (PPMR-BVO).

Enfin on ne passe pas des mois le nez dans un dossier de ce genre sans faire d'intéressantes découvertes, mettre à jour de troublantes connivences, et constater pièces à l'appui le fonctionnement concret du pouvoir (et souvent son envers obscur) dans un chef-lieu de département.

D'où l'intérêt que peut présenter un bref exposé de la situation.

 

Un projet rondement mené, et souvent sans vote

Le «Projet République» d'un grand centre commercial de quatre niveaux au-dessus d'un parking souterrain de 450 places, sur toute la superficie (un demi-hectare) d'un terrain en plein centre de Caen, planté d'une bonne cinquantaine de tilleuls quasi septuagénaires, ce projet privé confié par la municipalité aux sociétés de deux hommes d'affaires du cru (Conseil municipal du 25 juin 2018) ne sort certainement pas de nulle part. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, comme aurait dit paraît-il Antoine de Lavoisier. Mais là n'est pas la question aujourd'hui.

Rappelons seulement que l'idée de «halle gourmande» de la campagne électorale 2014 de M. Joël Bruneau et Mme Sonia de la Provôté avait officiellement pris une tout autre dimension dès sa réactivation par la délibération du conseil municipal du 29 juin 2015 (lancement d'une étude sur le commerce de centre-ville confiée en octobre au Cabinet Bérénice).

Huit mois plus tard, le 14 mars 2016, la municipalité présentait, sans vote, les résultats de cette étude au conseil municipal, et sortait illico de son chapeau un «appel à projets» tout ficelé, et ainsi conçu: remise des candidatures 3 mois plus tard (le 15 juin), offres définitives après auditions le 8 juillet, présentation de l'équipe lauréate au conseil municipal le 11 juillet.

Trois mois pour concevoir un projet économique et architectural répondant à toutes les exigences d'un cahier des charges très précis, c'était assurément bien court pour des «horsains». Mais rassurez-vous, car, comme le déclarait le 11 juillet 2016 M. Joël BRUNEAU lors d'une autre séance du conseil municipal : depuis juin 2015 « un certain nombre d'opérateurs sont venus nous rencontrer pour savoir dans quel esprit nous souhaitions lancer cet appel à projets ». Des opérateurs venus de loin, ou en voisins ? Seuls, ou avec de solides relations dans la place ? Des gens bien informés en tout cas, et ainsi tant soit peu en avance sur leurs concurrents...

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Archéologie et billard à 3 bandes

Rappelons également qu'à cette époque le fameux parking arboré n'était ni vendable (car appartenant au domaine public communal), ni constructible, car défini par le plan local d'urbanisme comme à usage d'espace vert et de parking (on ne détaillera pas ici comment ce terrain est devenu vendable et constructible, ni les épisodes des contestations, en cours, des délibérations qui ont permis qu'il le soit devenu)...

Qu'à cela ne tienne, car la mairie avait aussi, dès avant le 26 février 2016, saisi la préfecture de région (Service régional de l'archéologie), d'une « demande anticipée de prescription d'archéologie préventive (...) pour le projet « Place de la République » situé à Caen (14)... ».

Cette demande était donc logiquement arrivée à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), rue St Ouen à Caen, dans des services dont la bible est nécessairement le Code du patrimoine, et qui ne pouvaient donc ignorer la distinction fondamentale qui y est faite au Livre V entre fouilles préventives (Titre II) et fouilles programmées (Titre III).

Des services qui ne pouvaient pas non plus ignorer l'existence (et la sobre rédaction, immédiatement compréhensible par tout un chacun) de l'article R.523-3 de ce Code du patrimoine (Livre V Titre II), créé par le décret n° 2011-574 du 24 mai 2011 :

« Pour l'application du présent titre, sont dénommées :

a) "Aménageurs" les personnes qui projettent d'exécuter les travaux;

b) " Opérateurs " les personnes qui réalisent les opérations archéologiques. »

On vous épargnera la citation complète des articles R.523-12, R.523-17 et R.523-40, dont les dispositions ne sont pas inintéressantes, mais on n'omettra pas de signaler plus longuement que l'article R.523-14 prévoit que la demande anticipée de prescription est formulée par l'aménageur auprès du préfet), et que l'article R.523-41 indique sans équivoque que « Les opérations de fouilles archéologiques prescrites par le préfet de région (...) sont réalisées sous la maîtrise d'ouvrage de l'aménageur »).

 

La procédure, c'est pas le truc de la DRAC

Est-ce donc délibérément, et en complète méconnaissance de la procédure clairement exposée par ces dispositions du Code du patrimoine (détournement de procédure?), que la municipalité a envisagé, plus de six mois avant la désignation de l'aménageur (en octobre 2016) de se substituer à lui pour assurer la maîtrise d'ouvrage (et bien sûr le financement) du diagnostic archéologique (réalisé du 1er au 21 juin 2016) et des fouilles préventives qui pourraient être ultérieurement prescrites (et l'ont été par les deux arrêtés préfectoraux des 15 novembre 2016 et 19 juin 2017) ?

L'hypothèse de l'incompétence en matière de droit du patrimoine des services municipaux caennais est certes recevable (cela n'entre sans doute pas dans leurs attributions), mais la DRAC de Normandie et la préfecture de région ne pouvaient quant à elles ignorer les règles du Code du patrimoine applicables à la « demande anticipée... » de la Ville de Caen (notamment l'article R.523-14), puisque leur saisine par Mme Sonia de la Provôté alors adjointe à l'urbanisme (lettre du 18 février 2016) mentionnait bien un « futur acquéreur/constructeur », manifestait clairement par là que la Ville de Caen n'était pas l'aménageur, et n'avait dès lors pas qualité pour formuler auprès du préfet une demande anticipée de prescription de fouilles préventives.

L'arrêté n°16-2016-072 du 1er mars 2016 de Mme la préfète de la région Normandie « portant prescription d'un diagnostic d'archéologie préventive » (souscrit par délégation par le DRAC Jean-Paul OLLIVIER) était donc dépourvu de toute base juridique sérieuse, comme l'étaient par suite les deux autres arrêtés préfectoraux des 15 novembre 2016 et 19 juin 2017, prescrivant des fouilles complètes, le « décapage complet » du terrain « jusqu'au niveau d'apparition des vestiges »... et partant l'abattage des 49 tilleuls (objet de la délibération du 6 novembre 2017 que nous contestions).

Il s'ensuit que cette dernière délibération, fondée sur la prétendue obligation que faisaient à la Ville les arrêtés préfectoraux des 15 novembre 2016 et 19 juin 2017 prescrivant des fouilles, n'était à tout le moins que le produit (manifestement frelaté) d'une succession d'erreurs flagrantes de procédure (volontaires ou non).

 

Une « erreur », ça va,

Plusieurs, bonjour les dégâts !

Nul n'est parfait bien sûr, et les fonctionnaires de la DRAC peuvent bien sûr se tromper, y compris dans la lecture qu'ils font du Code du patrimoine, leur outil de travail. Mais de la multiplicité des erreurs naît le soupçon.

Car c'est au prix d'une nouvelle et grossière erreur que M. LAPRIE-SENTENAC, Architecte des Bâtiments de France (et membre du jury de sélection de l'appel à projets République), a répondu favorablement, le 19 janvier 2018, à la demande d'autorisation d'abattage des tilleuls de la place de la République, à la place du préfet, seul compétent.

La préfecture du Calvados a mis près de onze mois à reconnaître cette nouvelle erreur (cf. l'arrêté préfectoral de retrait du 7 décembre 2018, « Considérant que la décision du 19 janvier 2018 susvisée est entachée de vices de forme et de procédure, circonstance qui affecte sa légalité »), a ainsi procédé au retrait de la décision litigieuse en méconnaissance cette fois des dispositions de l'article L.242-1 du Code des relations entre le public et l'administration, qui ne permet semblable retrait que « dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision », et a enfin ré-autorisé l'abattage des tilleuls de la place par un dernier arrêté préfectoral daté du 5 février 2019 en « Considérant que les fouilles préventives permettent la mise en œuvre du programme de l'appel à projet qui prévoit de recomposer un îlot et de restituer une trame urbaine en rapport avec le caractère bâti originel des abords des monuments historiques ».

Ainsi, après des mois et des mois de débats sur la question des fouilles préventives qui incombent légalement à l'aménageur, et à lui seul, la préfecture accorde au vendeur du terrain (la Ville de Caen qui n'est pas l'aménageur) l'autorisation d'abattre les tilleuls pour lui permettre de réaliser à ses frais des fouilles qui ne lui incombent pas, afin de faire place nette au seul profit de l'aménageur (et permettre la mise en œuvre de son programme d'immobilier commercial, paré d'oripeaux culturels déplacés) ! On est curieux de savoir ce que le juge administratif pensera d'une telle motivation...

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Site inscrit et fouilles « spécifiques »...

Mais revenons rue St Ouen (à la DRAC). Nous avons pendant plus d'un an demandé à ce qu'on nous donne accès au dossier d'un document public, celui du Site inscrit du Centre ancien de Caen (arrêté ministériel du 5 janvier 1978 toujours en vigueur), sur lequel l'ancien parking arboré de la place de la République figure comme « espace planté à conserver et à compléter ». Il a fallu saisir la CADA de ce refus de communication, et cela même n'a pas suffi. Une ultime démarche auprès de l’Élysée, Matignon et différents ministères a quand même fini par débloquer la situation (voir http://caennaissivoussaviez.hautetfort.com/archive/2019/0...).

La DRAC, la Préfecture, le maire de Caen, entre autres (comme en attestent nombre de courriers en notre possession) ne souhaitaient manifestement pas que nous puissions avoir accès à ces documents, en méconnaissance flagrante des dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, instituant la liberté d'accès aux documents administratifs. Une bien étrange attitude, qu'il est certainement permis de rapprocher de celle qui a conduit la DRAC à méconnaître aussi les dispositions du Code du patrimoine relatives aux fouilles d'archéologie préventives... pour en confier la charge à la Ville de Caen à laquelle elles n'incombaient pas.

A ce propos (mais en sens inverse) on peut en outre s'interroger sur le peu d'empressement manifesté par la DRAC en octobre 2018 pour procéder à des fouilles sérieuses des vestiges des principaux bâtiments de l'ancien Hôtel de Ville de Caen, tous situés sur le domaine public municipal, à l'extérieur du terrain que M. BRUNEAU désire vendre (et qu'il faudrait décaper intégralement « jusqu'au niveau d'apparition des vestiges », et aux frais du contribuable bien entendu).

Dans une lettre figurant en annexe dans une note de ce blog (http://caennaissivoussaviez.hautetfort.com/archive/2018/0...), M. Jean-Paul OLLIVIER (patron de la DRAC de Normandie) va même jusqu'à inventer la catégorie des fouilles « spécifiques » (comprendre sans doute "vite expédiées") pour qualifier celles qui, à contrecœur, seront quand même entreprises au cours des semaines suivantes (car « le projet n'a pas donné lieu à une prescription d'archéologie préventive », bien entendu).

En somme les fouilles, c'est à la tête du client, et comme ça l'arrange (le client est roi). Et Joël BRUNEAU a une bonne tête...

 

Sur la bâche à sornettes...

Mais M. Joël BRUNEAU ne sait peut-être pas s'entourer des meilleurs spécialistes...

La bâche publicitaire dont il a affublé la palissade qui défigure notre place de la République depuis plus de deux ans et demi a été semble-t-il conçue par la Direction de la Communication de la Ville, et pour les textes par un certain Romain DESCLOS, guide conférencier à l'Abbaye aux Hommes. C'est du moins ce qui est écrit dessus (sur la bâche s'entend). Et, dans ces conditions, on ne pouvait guère s'attendre qu'à de la "communication", c'est à dire au mieux à de l'approximation, au pire à de la falsification.

La chose se vérifie, s'agissant de l'emplacement des vestiges de l'ancien Hôtel de Ville de Caen (l'ancienne maison des Eudistes, petit et grand séminaire autour de leur église). La bâche dont il vient d'être question (et dont on aimerait savoir quel prix elle a coûté) prétend notamment nous raconter l'histoire de la place de la République, du remblaiement d'une fraction de la Prairie au XVIème siècle à la place (et sa partie encore arborée) que nous connaissons aujourd'hui. On prend connaissance de la partie "historique" de ce discours municipal en remontant la rue Jean Eudes en direction de la Gloriette. Et ça commence assez mal. On tombe sans trop tarder sur un « plan du 17e siècle » (sic) dont tout indique qu'il date... d'après la Révolution, puisqu'on y trouve la mention de l'hôtel de ville et de la bibliothèque. Mais ce n'est pas là, peut-être, la bévue la plus énorme.

place de la République à Caen

Le plus inquiétant, si l'on tient absolument à prendre au sérieux tout ce que la municipalité raconte à propos de ce projet de privatisation de la place, c'est la surcharge de ce plan du XIXème par l'indication (entre deux traits verts) de l'emplacement occupé par la rue Georges Lebret depuis son percement dans les années trente du siècle dernier. La rue Lebret est ainsi censée occuper le terrain sur lequel est édifiée l'aile droite de l'hôtel Daumesnil, qui abrita jusqu'en 2015 le tribunal d'instance !

Deux belles bourdes qui mettent en évidence le niveau culturel élevé du service municipal de la communication (ou d'autres?), et surtout les difficultés insurmontables qu'on y éprouve pour faire une lecture correcte d'un plan parfaitement lisible.

Car on conviendra d'écarter l'hypothèse de la bourde volontaire, qui permettait de faire apparaître l'ensemble des vestiges de l'ancien Hôtel de Ville sur le seul terrain destiné à être vendu aux sociétés de MM. Laurent CHEMLA et Malek REZGUI (terrain promis à des fouilles préventives complètes), quand les vestiges des principaux bâtiments de l'ancien séminaire des Eudistes gisent sous le bitume de la voie publique entre les deux parties de la place. Là où, en octobre 2018, on souhaitait enterrer discrètement un énorme bassin de rétention des eaux pluviales (de 220 m3). Sans trop de souci du patrimoine archéologique...

Ce dossier du centre commercial voulu par M. Joël BRUNEAU est décidément plein de surprises, et l'on constate à cette occasion que la falsification est un des outils les plus utiles pour l'élaboration d'une "communication" efficace...

 

La République nous appelle...

Mais revenons à nos moutons. Avec cette première décision du tribunal administratif du 21 juin 2019, rejetant sans examen au fond (pour simple irrecevabilité) notre recours contre la délibération du 6 novembre 2017, nous avons certes perdu une bataille. Et sans doute de l'argent (1000 €).

Mais nous n'avons pas perdu notre temps, et en avons même gagné (nos tilleuls sont toujours debout, la commission départementale d’aménagement commercial -CDAC- n'a pas été saisie du projet, et aucun permis de construire n'a bien sûr été accordé, la Cour d'appel administrative ne s'étant par ailleurs toujours pas prononcée sur la question de la modification du plan local d'urbanisme et celle du déclassement du terrain).

Nous avons en outre appris des tas de choses, fort utiles pour nourrir notre argumentation dans les autres affaires relatives à ce même dossier (recours contre la vente du terrain, par délibération du 25 juin 2018, et recours contre la décision d'autorisation d'abattage des tilleuls de M. LAPRIE-SENTENAC, en date du 19 janvier 2018, et l'arrêté préfectoral du 5 février 2019 qui l'a remplacée).

Ces affaires devaient être examinées à l'audience du 20 juin. Elles le seront certainement après les vacances, en septembre ou plus tard...

S'agissant des 1000 euros que nous devons à M. Joël BRUNEAU, nous lui avons poliment demandé de nous faire crédit, par une lettre ouverte distribuée le 25 juin au Calvaire St Pierre (voir ci-dessous). Il ne nous a pour le moment rien réclamé, mais cela pourrait venir. Ce sera dans ce cas l'occasion d'une levée de fonds, levée en masse bien entendu, comme en 1793.

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dimanche, 24 juin 2018

La République n'est pas à vendre, lettre ouverte au maire de Caen.

Caen, place de la République, ancien hôtel de ville, séminaire des eudistes, Joël BRUNEAU, demande anticipée de prescription d'archéologie préventive, Yves COULOUME, agence ATTICA, agence RESPUBLICA (Conseil en dialogue collaboratif), Comité d'enseignes, marchands de biens immobiliers, JEL Diffusion, Sarl unipersonnelle TOSCALEO CONSEIL, Laurent CHEMLA, Le Printemps Caen, Sedelka-Europrom, SECOPROM, Sarl unipersonnelle FINAREM, Malek REZGUI, Claude JEAN, Guillaume GUERIN, abattage des tilleuls, SCP Barré Chuiton Lisch Violeau, Ludwig Willaume

C'est qui le maire ?

Monsieur le maire,

Une simple lecture en diagonale (qui mérite évidemment d'être affinée) de la délibération n° 37 que vous entendez soumettre lundi prochain 25 juin à votre conseil municipal (et du cahier des charges qui lui est annexé) montre à l'évidence combien est contestable la vente (de plus sans garanties sérieuses) aux sociétés de MM. Malek REZGUI et Laurent CHEMLA de la partie de notre place de la République située entre la Poste centrale, la Préfecture et la rue Jean-Eudes.

Sans examiner précisément les points les plus litigieux, il est quand même permis de s'étonner de l'extraordinaire légèreté avec laquelle on engage définitivement la commune sur la base d'un cahier des charges auquel « il pourra être apporté toute modification nécessaire (…) pour l'adapter aux évolutions du projet » (« précision » incroyablement floue exposée dans la motivation de la délibération, et rappelée dans son dispositif, avant l'autorisation donnée au maire, sans nouvelle consultation du conseil, de régler seul toutes les questions relatives à cette vente qui pourraient ultérieurement se poser). Voir également sur ce point le Titre IX du cahier des charges rédigé par la SCP Barré Chuiton Lisch Violeau.

 

Deux clauses contestables figurent par ailleurs au chapitre « Fouilles archéologiques » de la motivation de cette délibération : « Préalablement à la campagne de fouilles, les arbres existant sur la parcelle devront être enlevés » et « Le terrain devra être cédé purgé de toute occupation, sauf vestiges laissés en place... ».

Or c'est à l'aménageur (et non à la ville, seulement venderesse) qu'incombe la charge des fouilles archéologiques éventuellement prescrites, selon la lettre même de divers textes de base figurant au Code du patrimoine.

Curieusement, et sauf erreur de ma part, aucune mention de cette clause (contestable) relative aux fouilles et à l'abattage des arbres auxquels la ville devrait procéder à ses frais ne figure, ni dans le cahier des charges annexé à la délibération, ni dans... le dispositif de la délibération elle-même ! Il n'y est question que d'une « emprise », d'un « terrain », et de sa superficie, sans autre précision. Dès lors, une fois votée cette délibération, toute dépense supplémentaire de la part de la ville sur ce terrain, pour faciliter la tâche des acquéreurs, devrait être interprêtée comme un cadeau (supplémentaire et injustifiable) qui leur serait fait aux frais de la collectivité.

Sur cette question des fouilles, dont la demande bizarrement « anticipée » de février 2016 émanait de votre service de l'urbanisme, vous pourrez aussi utilement consulter ce que j'en ai pu écrire sur le blog « Caennais si vous saviez » (cliquer ici)

S'agissant par ailleurs de l'avis SEI 2017/118V/410 du service du Domaine, daté du 4 décembre 2017, et qui fait l'objet du douzième visa du projet de délibération, doit -on penser qu'il est classé « secret défense », puisqu'aucune copie n'en figure au dossier de cette délibération ? C'est pourtant sur la base de ce document (qui doit bien évidemment énoncer la nature exacte du bien estimé) qu'est fixé un prix de cession (5.200.000€ HT, ou plus... ou moins) dont on ne semble pas envisager qu'il puisse être modifié, quelle que soit la date à laquelle serait signé l'acte de vente définitif (promesse de vente prorogeable jusqu'au 30 juin 2027, voire au-delà).

 

A l'article 4-1 du cahier des charges annexé à la délibération sont en outre énumérées nombre d'obligations incombant à la ville de Caen, s'agissant de l'aménagement des espaces publics tout autour du projet de MM. Malek REZGUI et Laurent CHEMLA. Des obligations dans lesquelles on peut parfaitement voir des servitudes grevant le domaine public, sans que le dispositif de la délibération en fasse aucunement mention...

De quoi s'agit-il ? De contribuer « à une bonne visibilité du projet de l'Opérateur depuis la place de la République, la rue de Strasbourg et la rue Pierre-Aimé Lair, telle que prévue sur le plan masse (…) annexé », de « favoriser la mise en valeur de l'axialité de l'atrium », d'assurer « la connexion directe du flux piéton entre la rue Auber et l'angle des rues Jean-Eudes/Strasbourg », d'assurer « une continuité piétonne depuis la place vers le quartier Gardin, à travers le jardin [parc classé de la Préfecture] (…) au plus tard au jour de l'ouverture de l'Ensemble immobilier ».

On peut je crois reconnaître dans ces prescriptions imposées à la ville le projet à 9,95 millions d'euros d'Yves COULOUME, fondateur de l'agence ATTICA (Ouest-France, 26 mars 2018). Et n'en déplaise à M. Ludwig Willaume, ce ne sont pas les habitants qui ont écrit ce projet. On apprend donc maintenant (certes on s'en doutait) que la prétendue « concertation » autour de l'aménagement de cette place n'était qu'une mascarade, et qu'au-delà des honoraires de M. COULOUME, il aura aussi fallu en régler à l'agence RESPUBLICA (« Conseil en dialogue collaboratif »!) pour la dorure sur la pilule. Le tout au bénéfice des futures affaires (sûrement florissantes) de MM. Malek REZGUI et Laurent CHEMLA, et aux frais du contribuable, comme d'habitude...

 

Ce sont donc maintenant les intérêts privés qui décident à Caen de l'aménagement et de l'usage du domaine public de la ville, voirie, places, etc. ?

Cela se confirme avec d'autres dispositions du cahier des charges, concernant la rue Auber, qui « devra passer en rue à sens unique » et « recevoir terrasses et étals » sur 10 mètres de profondeur (sans doute à la place des arbres présents à cet endroit, qui bien sûr « devront être maintenus, sauf impossibilité technique liée à la phase travaux » (art 5.2)...

Il est même prévu, sans aucune justification technique, que la rampe entrée-sortie du parking souterrain privé soit réalisée « sur le domaine public, rue Auber et à l'angle de la rue Georges Lebret ». Sans commentaire...

 

On pourrait encore parler de la grosse blague du « Comité d'enseignes » (Titre IV du cahier des charges), qui pourra s'auto-dissoudre « si son existence n'apparaît plus nécessaire », ou du « Pacte de préférence » du Titre VII. A ce propos, et alors que je vous proposais d'envisager une solution de type bail à construction, plutôt que d'opter pour une aliénation définitive, vous m'aviez répondu il y a quelques mois qu'une commune ne saurait que faire d'un bâtiment de cette nature, s'il devait lui revenir un jour...

 

Bref, je pense que la vente à MM. Malek REZGUI et Laurent CHEMLA de la moitié de notre place de la République serait une bien mauvaise action, et qu'elle mérite mieux que de finir en grande surface commerciale, et l'autre partie en parvis de cette boutique.

Et dépourvu de toute illusion s'agissant de l'exceptionnelle sagacité dont je serais capable, je pense que tous les membres de votre conseil, à condition qu'ils aient pris la peine de lire un peu attentivement le projet de délibération (et le cahier des charges) qui leur est soumis, seront à même d'en faire l'analyse que je viens moi-même de vous exposer.

Ainsi, s'ils devaient l'approuver, ils ne pourront nier s'être mis avant tout au service d'intérêts particuliers, ce qui n'est pas bien sûr le mandat qu'ils ont reçu de leurs électeurs. Il serait toutefois possible, pour permettre aux plus timorés de s'exprimer en leur âme et conscience, et sans se croire tenus de respecter une quelconque discipline de vote, de décider qu'il en sera procédé à bulletins secrets...

Cordialement, Bruno HERGAS

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mercredi, 06 juin 2018

Ancien hôtel de ville place de la République, à Caen l'arnaque aux fouilles ? Acte deux.

 La grande farfouille

Ce n'est pas la ville de Caen qui, sur la place de la République, creusera un gros trou à stocker les bagnoles et construira un nouveau centre commercial (si l'on y creuse et y construit un jour, ce qu'à Dieu ne plaise). Ou pour parler comme un livre (le Code du patrimoine en l’occurrence), la ville de Caen n'est pas l'aménageur. Et n'étant pas l'aménageur, ce n'est pas à elle de faire les frais d'éventuelles fouilles d'archéologie préventive. Alors pourquoi veut-elle à tout prix en faire les frais (à nos frais)? Y a-t-il bien quelque chose à trouver ? Quelque chose qu'on n'ait pas déjà trouvé, dans un endroit tout chamboulé en profondeur, à plusieurs reprises, au cours de sept bonnes décennies depuis l'été 44 ? Pour en savoir plus, si on jetait un œil au « Rapport final d'opération - Diagnostic archéologique » rédigé en août 2016 par M. Vincent HINCKER et ses collègues ?

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Un gros rapport plutôt mince...

C'est un document de 157 pages au format A4 (volume sans doute nécessaire à la reconnaissance du caractère éminemment scientifique de l'ouvrage). 157 pages, au nombre desquelles une trentaine de pages blanches, une autre bonne dizaine de pages de données administratives (arrêtés préfectoraux, etc.), et une dernière quarantaine de pages d'inventaires techniques, le tout très abondamment illustré de documents de toutes natures (reproductions de plans anciens et d'images des 17ème au 20ème siècles, etc.). Des illustrations dont la présence dans ce Rapport en constitue d'ailleurs le principal intérêt.
C'est donc finalement un texte de moins de 80 pages, illustrations comprises. Qui n'a manifestement pas été relu avec attention, si j'en juge par son niveau de correction (ou plutôt d'incorrection) orthographique. Navrant de la part d'un service départemental dont le domaine de compétence appartient tout de même à celui, plus vaste, de la culture.
C'est par ailleurs un texte extrêmement répétitif, où l'on retrouve mot pour mot à la page 41 ce qu'on a déjà lu à la page 31; un texte dont les pages 45 à 54 racontent le même « Contexte historique et archéologique » dont le récit nous a déjà été fait sous le même titre et avec les mêmes mots aux pages 16 à 22. Une note 4, à la page 16, précise d'ailleurs que « L'essentiel des informations insérées dans le contexte historique sont tirées de: Marcheteau de Quinçay C., L'ancien hôtel de ville de Caen disparu en 1944 (…), 2014, 96 p. ».

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Insuffisance de l'étude documentaire préalable

Il faut mettre cet aveu au crédit du ou des auteurs de ce Rapport. Ils ont l'honnêteté de reconnaître qu'une bonne part de ce travail ne saurait prétendre à l'originalité. Et ce sont bien ces larges emprunts faits au petit ouvrage de M. Marcheteau de Quinçay (petit par sa pagination, mais très bien documenté, ainsi qu'abondamment et judicieusement illustré) qui font l'intérêt du Rapport de M. HINCKER.
Mais le livre en question, consacré à l'histoire de notre hôtel de ville disparu en 1944, séminaire des Eudistes de 1664 à 1792, ne prétend pas répondre aux questions posées aujourd'hui à l'archéologue: « … il est nécessaire de mettre en évidence et de caractériser la nature, l'étendue et le degré de conservation des vestiges archéologiques éventuellement présents afin de déterminer le type de mesures dont ils doivent faire l'objet ». (second considérant de l'arrêté préfectoral du 1er mars 2016).
Les seules références faites par M. Marcheteau de Quinçay à des découvertes postérieures à 1944 se trouvent à la page 64 de son ouvrage, et concernent la pierre de fondation de 1731 du Petit Séminaire (B. Leconte d'Ymouville, Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, tome LII 1952-1954, pages 275-277; Paris-Normandie 30 avril – 1er mai 1953).
La seule référence au livre de M. Marcheteau de Quinçay (et aussi aux travaux de l'association Cadomus, bien sûr) ne pouvait donc tenir lieu de l'étude documentaire préalable à la phase terrain, à laquelle tout professionnel sérieux sait qu'il doit apporter le plus grand soin et la plus grande attention, en procédant tout d'abord au récolement des archives de fouilles anciennes, et autres documents d'archive utiles, ainsi qu'à leur analyse approfondie.

De l'utilité des ouvrages de base

Il n'est pourtant pas bien difficile, quand il est question de fouilles à entreprendre à Caen, de dénicher au moins quelques informations de base. Il existe notamment un ouvrage, publié en 1996 avec le soutien de la ville de Caen et du Conseil général du Calvados, qui répertorie l'ensemble des données archéologiques alors connues concernant Caen. Le titre en est « Caen cité médiévale, bilan d'archéologie et d'histoire », et les auteurs en sont Christophe COLLET, Pascal LEROUX et Jean-Yves MARIN, avec le concours de Jean-Jacques BERTAUX, Laurent DUJARDIN et Hervé HALBOUT. Malheureusement, Michel de Boüard et Arcisse de Caumont, empêchés, n'ont pu participer à la rédaction...
L'ouvrage, édité par le SDAC, Service départemental d'archéologie du Calvados au nom duquel a semble-t-il été rédigé le Rapport de M. HINCKER, permet à tout un chacun, néophyte compris, de trouver sans peine grâce à différents index (notices, mots clés, adresses actuelles) les références de base nécessaires à toute étude documentaire préalable à la phase terrain.
Concernant l'église des Eudistes, place de la République, on y trouve par exemple, page 311, une note de 5 lignes relatant les découvertes faites lors du déblaiement des fondations en 1953 (et non en 1964, comme constamment affirmé dans le Rapport HINCKER, notamment aux pages 57, 87, et 112, photo 34). Que trouve-t-on alors ? Des caveaux funéraires, un pour chaque travée, 9 corps relevés « ainsi qu'un cercueil en plomb contenant un cercueil en bois, à l'intérieur duquel fut trouvé le corps embaumé d'une femme d'1,64 m, âgée de soixante-dix ans environ. Enroulée de bandelettes ou dans un suaire très fin, puis enrobée de plâtre, elle était couverte d'un linge fin. La calotte crânienne avait été sciée afin d'en extraire le cerveau ».
Cette découverte est évidemment référencée, et il suffit dès lors d'aller consulter la note de M. Leconte d'Ymouville figurant dans le Bulletin de la société des antiquaires de Normandie (BSAN), tome LII 1952-1954, pages 294-295.

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Éviter de chercher ce qui a déjà été trouvé,
afin de ne pas gratter pour rien... (mais pas à l’œil !)

Compte tenu de l'insuffisance de leur étude documentaire préalable, M. HINCKER et ses collaborateurs n'ont (peut-être) pas su par avance qu'ils ne pourraient pas, dans leurs sondages sur le site de l'église, « identifier » (« le cas échéant ») « la présence des sépultures mentionnées dans les sources archivistiques ». Tout était prévu dans ce cas « Sauf avis contraire du service régional de l'archéologie, les sépultures potentielles ne seront pas fouillées lors du diagnostic. Néanmoins, si cela s'avérait indispensable, (…) les sépultures fouillées le seront dans les règles de l'art... » (Ce qui est quand même bien la moindre des choses !, Rapport, page 24).
Et quand les auteurs de ce Rapport reviennent sur cette « question des sépultures » (ibid. page 93), leur analyse conclut alors, et à tort, à 7 inhumations en tout dans cette église, alors qu'il y en eut au moins 16 (7 exhumations en 1810, et 9 corps relevés en 1953, dont les ossements ont alors été remis aux pères eudistes du collège Ste Marie).

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Voilà à quoi ça mène d'entreprendre des fouilles (ou même un simple diagnostic archéologique) dans ces conditions d'impréparation: «… le nivellement très poussé des terrains (…) a nécessairement provoqué la disparition des aménagements sépulcraux...». Ce qui revient à dire, après coup, que sur cette question des sépultures tout du moins, il ne servait à rien de gratter, et qu'on le savait (ou pouvait le savoir) par avance...
C'est pourtant sur la base de ce Rapport de diagnostic remis aux autorités le 9 septembre 2016, et « Considérant que le diagnostic a mis au jour la présence de vestiges des périodes modernes et contemporaines », que M. Jean-Paul OLLIVIER (DRAC) prescrira la poursuite des fouilles, par arrêtés des 15 novembre 2016 et 19 juin 2017. Il est vrai que s'il n'a pas lui-même lu ce rapport (dont l'insuffisance lui serait peut-être apparue), un autre au moins l'a fait au nom d'une Commission interrégionale de la recherche archéologique (CIRA), dont l'avis des 8 et 9 novembre 2016 a servi d'alibi à l'éventuelle poursuite de cette mascarade...

Déblaiement et nivellement, les inconnues du dossier ?

Revenons à la question de l'insuffisance de l'étude documentaire préalable, qui nous est encore une fois confirmée à la page 56 du Rapport : « Le processus de déblaiement n’a pu être précisément reconstitué ». A-t-on seulement tenté de le faire ? On sait pourtant, par des photos, des cartes postales, et d'autres documents, quels sont les différents stades du déblaiement : mise à bas des pans de murs restés debout, tri et récupération des matériaux de construction, arasement (en 1952-1953) des structures restantes au niveau de la voirie environnante, aménagement d'un parking planté et d'une voie perpendiculaire à la rue St Laurent (en 1953?), réaménagement ultérieur du parking (en 1964? plus tard ?) avec suppression de cette voie. Ce sont-là des travaux qui ont nécessairement laissé des traces dans les archives de la ville (délibérations du conseil municipal, plans, des réseaux notamment, devis des entreprises, articles de presse, etc.). Il est tout de même moins coûteux de remuer du papier que de pelleter des tonnes de gravats ! Mais on a préféré gratter à l'aveugle... et élaborer sans preuve sérieuse (ou plutôt contre toute évidence) la thèse fumeuse du « comblement des caves... demeuré en l'état » depuis juin et juillet 1944.

Le trésor des caves, construction d'un mythe

Sans être étayée par la moindre source documentaire, cette thèse du « comblement des caves... demeuré en l'état » apparaît dès la page 32 du Rapport (l'utilisation systématique de la méthode Coué fait qu'on retrouve la même affirmation, souvent dans les mêmes termes exactement, aux pages 108, 109 et 114 de ce rapport, et sans doute ailleurs). En voilà l'énoncé : Les « travaux de déblaiement et de nivellement qui ont suivi la destruction de ces bâtiments (...) ont toutefois épargné les comblements des caves lorsque le sol de celles-ci était plus bas que les chaussées des rues adjacentes » (lorsque le sol d'une cave est à hauteur de rue, on parle effectivement de rez-de-chaussée...) « Les comblements des caves subsistants conservent les témoins directs, parfois conservés in situ, de l’état des lieux au moment des deux bombardements (...) » (… et si les vestiges ne sont pas « conservés in situ », c'est que le site a été bouleversé à une date ultérieure, rendant vaine toute poursuite de fouilles susceptibles de prétendre à une quelconque scientificité!).
Mais admettons qu'il en ait été ainsi, pendant une petite décennie (1944-1953). Et encore. Mais dès l'aménagement en terre-plain du terrain (1953) et la rectification du tracé de la rue, coupant en deux ce qui était devenu une seule grande place, entre la rue Paul Doumer et la rue Georges Lebret, « il a fallu mordre sur l’emplacement du Séminaire, et, pour encaisser le sol de cette voie nouvelle, il a fallu creuser un peu, et enlever les premières assises des fondations », etc. (Leconte d'Ymouville, BSAN tome LII, 1952-1954, pages 275-276).
Des travaux de même ordre se sont évidemment avérés nécessaires pour la création (en 1953? ou en 1964?) de la voie, à gauche de la carte postale reproduite ci-dessous (le long de laquelle sont garées trois automobiles dont une 4cv), voie qui a été construite dans l'axe exact (et sur tout le terrain d'assiette) du bâtiment principal de l'ancien grand séminaire (musée des Beaux Arts jusqu'en 1944).

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Très logiquement, les réseaux publics ont été enterrés là-dessous (alimentation en eau, évacuation des eaux pluviales, cf. la bouche d'égout avaloir, en bas au centre de l'image, et la plaque d'égout au milieu de la rue). Ces réseaux ont bien sûr été aménagés au fond de tranchées nécessairement assez profondes. Ce qui, à cet endroit, veut dire dans les caves de l'ancien musée des Beaux Arts (ce qu'il en reste, sur 1m30 de hauteur au maximum après « arasement très poussé des vestiges », comme pour la cave de l'ancienne Poste?, cf. Rapport page 108). Il s'ensuit que ces fameux « comblements des caves » ne sont évidemment pas demeurés en l'état, « in situ ». Ils ont au minimum été bouleversés par la multiplicité des tranchées creusées sur tout le site de 1944 à nos jours (réseau souterrain, eau et électricité, Rapport figure 5 page 60). Sans compter les « réseaux enfouis non signalés... » (page 58). Et il est de ce fait peu vraisemblable qu'on y trouve encore « les témoins directs (...) de l’état des lieux au moment des deux bombardements »...

Les caves de l'ancienne Poste, et leur maigre contenu

D'où vient donc cette théorie fumeuse du trésor des caves de l'ancien musée des Beaux Arts ? De la fouille de deux caves voisines situées sous ce qui fut la Poste de 1883 à 1932 (Rapport page 109) : « Le comblement des caves est constitué des gravats résultant des bombardements (...) et de l’incendie qui s’en est suivi. Ces gravats contiennent les résidus de la démolition des bâtiments (…) ils sont descendus dans les caves lorsque les planchers des bâtiments ont brûlé, fossilisant ainsi le contenu des caves qui est resté en l’état. Il a ainsi été possible de retrouver le compteur gaz de la Poste avec la mesure de la consommation en cours figée au moment des bombardements. De même, la cave située immédiatement à l’est de la cave où se situait le compteur gaz, contient encore un râtelier sur lequel des bouteilles sont encore rangées ainsi que de la vaisselle portant les traces d’une intense exposition à la chaleur. »
J'ai eu la curiosité d'aller consulter, aux pages 143 à 146 du Rapport (ainsi qu'aux pages 132 à 134, en passant par les figures 15 et 16 des pages 97 et 99) les trouvailles faites dans le sondage n° 2, soigneusement conservées et rangées dans 4 caisses (les caisses n° 6, 7, 12 et 13).
Je n'y ai pas trouvé de râtelier, et pas d'autres bouteilles que « 1 bouteille en verre vert et 1 fragment de bouteille en verre transparent » (le tout pesant 1kg 430g). Plus 50 « fragments de bouteille, vitre, verre fondu » (623,5g). Pour la vaisselle, 241 « fragments d'assiettes, de bols, de plats, de tasses, beaucoup en porcelaine » (2kg 657g). Puis, toujours dans la même unité stratigraphique (US 2040) un « porte-savon en porcelaine de Limoges, manufacture Ahrenfeldt » de 81g. Dans un triste état (mais ce n'est sans doute pas un drame, s'agissant d'un objet nécessairement fabriqué après 1896). Voilà pour l'essentiel du contenu de la « cave de l'est ».
Dans la cave voisine, parfois qualifiée sans raison de « chaufferie » (US 2040 toujours), un « compteur à gaz moderne en fer, avec 2 robinets en cuivre » (25kg), un « poteau de départ d'escalier en fer, avec pommeau en cuivre » de 21kg, peut-être un « seau en fer » d'1kg, une « ferrure de porte avec 3 clous » (1 kg), 912g de « clous, barres », 700g de « balustre en fer », et enfin « 1 paire de ciseaux en fer » de 35,8g trouvée dans l'US 2034.
Je n'ai bien sûr relevé que les trouvailles les plus parlantes, en négligeant par exemple un « fragment de lame » en fer d'1,8g, ou 2 « fragments de baguette » en bois de 5g...
Mais cela fait tout de même bien peu de choses pour le seul contenu initial de deux caves (sur 1,30m de hauteur), dans lesquelles sont pourtant censés être descendus, en outre, « les résidus de la démolition des bâtiments », avec leur contenu (les 2kg 657g de porcelaine en 241 fragments, c'est au mieux le poids d'une petite douzaine d'assiettes...).
Bien peu de choses donc, et sans grand intérêt. Et j'en conclus qu'on y avait fait le ménage...

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Temps de pénurie et récupération en profondeur...

Mais cette hypothèse d'un déblaiement relativement soigneux des ruines (hôtel de ville compris), à la pelle et à la pioche pour l'essentiel, avec récupération de tout ce qui peut être réutilisé, remettrait en cause la trop utile théorie du « trésor des caves ».
Voilà sans doute pourquoi on n'hésite pas à entretenir la confusion entre le nivellement auquel on procède en 1952-1953 (les soupiraux des caves étaient alors encore visibles, au-dessus du niveau des voies adjacentes), et le déblaiement des ruines effectué en 1945-1946 (voir sur ce point « La reconstruction de Caen », de Jack AUGER et Daniel MORNET, Ed. Ouest-France 1986, page 61, ou « Renaissance d'une ville, Caen 1944-1963 », Ed. Depha 1994, pages 15 et suivantes).
C'est de cette (fort utile) confusion que témoigne la page 109 du Rapport de M. HINCKER : « Ces vestiges montrent que les travaux de déblaiement des gravats de l’ancien hôtel de ville ont été menés jusqu’au niveau de la chaussée des rues adjacentes, mais qu’ils n’ont pas été poursuivis en profondeur laissant intact les témoins sous-jacents des heures sombres de l’histoire de la ville de Caen ».
D'où tient-on que les travaux de déblaiement n'auraient pas été poursuivis en profondeur, en 1945-46, si toutefois tous les plafonds des caves s'étaient effondrés (cf. les soupiraux des caves encore visibles jusqu'en 1952-1953)?

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Car si ce n'est pas le cas (cas général ou particulier), « les résidus de la démolition » des étages (et leur contenu) ne sont pas « descendus dans les caves », ou pas tout seuls (réutilisation en remblais après 1944 ou 1952-53).
Dans le cas contraire (plafonds crevés), on devrait pour l'essentiel trouver dans les caves ce qui n'était pas susceptible de brûler, c'est à dire la pierre, et notamment les blocs appareillés des parements, chaînages, piédroits, linteaux... Et sans doute aussi, s'agissant de bâtiments qui ont brûlé, des morceaux de poutres à demi consumées...
En fouillant les caves de l'ancienne poste, à 1m30 en dessous de la surface actuelle du terrain, M. HINCKER et ses collaborateurs ont-ils fait de semblables découvertes ? Pas vraiment, si l'on se fonde sur l'examen des photos 28 et 32 des pages 107 et 109, et sur celui des couches 2040 et 2041, pages 99 et 133. Quelques blocs calcaires, mais surtout beaucoup de sable, de chaux, et autres débris et gravats non récupérables, et enfin pas de bois, même carbonisé. Il faut dire que les hivers 44 et suivants furent bien rudes pour les caennais sinistrés, sans combustible ni électricité, et souvent même sans un vrai toit au-dessus de la tête...
Aux temps de pénurie que sont les premières années d'après guerre, on récupère soigneusement tout ce qui peut encore servir (matériaux de construction, combustible, etc.). D'où la pauvreté des restes exhumés par M. HINCKER et son équipe. Et il n'y a bien sûr aucune raison de penser que les caves de l'ancien Musée des Beaux-Arts recèleraient plus de « trésors » qu'il n'en a été trouvés dans les caves de l'ancienne Poste...

« Rien ne permet de savoir... »,
mais « il ne peut être exclu de retrouver... »

Contre toute évidence, on tient pourtant à nous promettre de mirifiques découvertes dans les caves de l'ancien musée, à demi-rasées en 1952-53, et à de multiples reprises bouleversées par des terrassements, comme on l'a vu plus haut. C'est ainsi qu'on peut lire, à la page 110 du Rapport, que « la plupart des sculptures, le mobilier, les dessins, les très grandes peintures, un nombre important de tableaux du XIXe siècle, mais aussi les archives, la documentation, les inventaires, les cadres, etc., ont disparu dans les bombardements de l’été 1944 ».
Si l'on veut bien se souvenir des deux bombardements et des incendies qui ont eu raison des bâtiments de l'ancien hôtel de ville, il va de soi que mobilier, dessins, peintures, archives, documentation, inventaires et cadres ont définitivement disparu, et qu'on n'en retrouverait que les cendres.
Restent les sculptures, me dira-t-on. Quelles sculptures ? Marbres ? Bronzes (fusion à environ 1000°C, soit la température moyenne d'un incendie) ? Plâtre ? Terre ? Ne dispose-ton pas d'un catalogue ? Et ces sculptures auraient-elles été descendues dans les caves, par précaution, avant ou pendant l'Occupation ? Il est alors exclu qu'il s'agisse de pièces monumentales, malaisées à déplacer par d'étroits escaliers de service, et enfin pour cause d'arasement des caves à 1m30 de hauteur. Ou seraient-elles alors tombées des étages lors de l'effondrement des planchers ? Les bras m'en tombent, dirait la Vénus de Milo. Et quant à moi, je reste de marbre à l'évocation de l'éventuel ramasse-miettes des caves du musée. C'est trop d'hypothèses improbables pour moi...
Voilà pourtant la suite de ce texte (ibid. page 110) : « Rien ne permet de savoir ce qu’il est advenu des œuvres d’art désignées comme disparues, mais au regard de l’accumulation des gravats dans les caves de l’ancienne Poste et de la conservation sous-jacente du contenu des caves au moment du bombardement, il ne peut être exclu de retrouver une partie des œuvres d’art considérées dans les nombreuses caves de l’ancien Musée des Beaux-Arts de Caen ».
Malgré l'apparente prudence du propos (« il ne peut être exclu »), on est ici à des années-lumière de la méthode scientifique telle que la concevait Claude Bernard, et pas bien loin du pari de Pascal, ou de ses versions populaires comme « qui ne tente rien, n'a rien ». Alors, finalement, le « trésor des caves », ce n'est rien d'autre qu'un acte de foi.

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Le Temps montrant les ruines qu'il amène et les chefs-d'œuvre qu'il laisse ensuite découvrir, Jean-Baptiste Mauzaisse (1784-1864), musée du Louvre, plafond de la salle des bijoux

 Plan B et « patrimoine mémoriel »,
pour le cas (fort probable) où l'on ne trouverait rien...

On ne pouvait peut-être, dans ce Rapport de diagnostic, avouer qu'il n'y avait (et n'y aura) strictement rien à trouver, ou si peu, sous les arbres et le bitume du parking de la place de la République. On peut comprendre le professionnel dont le boulot est de gratter, et dont la petite entreprise ne croule pas sous les commandes, au prix où est la main d’œuvre de nos jours. Mais puisque c'est le client (ici la ville de Caen) qui en redemande...
Alors, après avoir avec précaution évoqué de très hypothétiques et fort improbables découvertes, il faut bien prévoir un lot de consolation, au cas où l'on ne retrouverait qu'un autre compteur à gaz, qu'un autre bout de porte-savon, que quelques morceaux d'assiettes ou quelques clous tordus. Des objets qui témoignent assurément du souci de confort et d'hygiène de nos ancêtres du vingtième siècle. Ainsi, pour estomper l'échec prévisible d'une opération de fouilles inutile et coûteuse, on va donc par avance élever ces ustensiles du quotidien à la dignité de patrimoine mémoriel :
« Il faut ajouter à cela que les vestiges des bombardements de Caen, qu’ils soient œuvre d’art ou simples ustensiles du quotidien peuvent devenir un support pertinent pour raconter des événements tragiques dont les derniers témoins directs sont appelés à disparaître dans les années à venir. Le contenu des caves de l’ancien hôtel de ville constituent [sic] sans nul doute un patrimoine mémoriel à défaut d’être à proprement parlé [sic] un objet scientifique » (Rapport, page 110).
C'était ça, ou avouer, par exemple, que « ... les restes de la Poste bâtie entre 1881 et 1883 n’ont pas de réel intérêt patrimonial, puisque l’agencement de cet édifice est connu à travers des plans et sa façade extérieure au moyen d’une photographie. » (ibid. page 108). Et ce n'est pas le seul édifice dont on connaissait par avance l'agencement, comme on le verra ci-après...

Un diagnostic archéologique, pour quoi faire ?

Avant d'examiner la « conclusion générale » de ce Rapport de diagnostic, on rappellera la mission confiée à M. HINCKER et ses collaborateurs par l'arrêté préfectoral du 1er mars 2016 : «… il est nécessaire de mettre en évidence et de caractériser la nature, l'étendue et le degré de conservation des vestiges archéologiques éventuellement présents afin de déterminer le type de mesures dont ils doivent faire l'objet ».
Il est alors amusant de constater que le Rapport de M. HINCKER, faute sans doute de trouver grand chose à se mettre sous la dent, remet constamment en cause le mandat qui lui est donné, comme à la page 31, par exemple : « L'objectif du diagnostic archéologique (…) était moins d'évaluer l'état de conservation des bâtiments du séminaire que de tenter d'étudier l'intérêt de procéder à l'étude des traces d'occupations antérieures »...
Tenter d'étudier l'intérêt de procéder à l'étude... Voilà qui est bien laborieux, incertain, et sans garantie aucune. Une tentative de diagnostic, donc. Et portant sur quoi ? Sur les vestiges ? Non pas, mais sur les « traces d'occupations antérieures », c'est à dire au-delà des vestiges, et avant toute occupation humaine...
C'est certainement à ce dérapage des objectifs initialement déclarés de ce diagnostic qu'il faut attribuer une étude géomorphologique assez poussée et des carottages profonds dont l'utilité n'est vraiment pas flagrante (pages 61 à 73 du Rapport, notamment). Cela ne permet d'ailleurs que « d'affiner les connaissances sur l'évolution paléoenvironnementale de ce secteur de Caen avant son aménagement à la fin du XVIe siècle » (ibid. page 66), bien connue déjà par deux précédents carottages réalisés sur ce secteur en 1977 et 2012.

Rien ne sert de gratter, tout est dans les archives...

Les quelques lignes qui suivent reprennent les grandes lignes de la Conclusion générale de ce Rapport (page 114) :
« En conclusion, les sondages (...) ont permis de constater l’absence de vestiges anthropiques antérieurs au XVIIe siècle (...). Ce n’est donc qu’au XVIIe siècle qu’apparaissent les premières traces de fréquentation du lieu (…). Les sondages ont aussi permis de confirmer un certain nombre de plans conservés dans les archives restituant ainsi la position des bâtiments du séminaire bâtis au XVIIIe siècle (…). Les sondages archéologiques ont néanmoins démontré que les élévations de l’église et de tous les bâtiments du séminaire (...) ont disparu au lendemain de la seconde guerre mondiale dans le cadre des travaux de déblaiement et de nivellement qui ont suivi la destruction de ces bâtiments (...).
Ces travaux ont toutefois épargné les comblements des caves (…) Les comblements des caves subsistants conservent les témoins directs, parfois conservés in situ, de l’état des lieux au moment des deux bombardements qui ont provoqué la destruction complète de l’hôtel de ville.
En définitive, les sondages archéologiques sont venus confirmer et compléter sur la marge les informations contenues dans les archives papiers des périodes modernes et contemporaines [même texte page 32]. Aucune trace d’occupation médiévale ou antérieure n’a pu être détectée (...) ».

En résumé, pas trace d'occupation humaine avant le XVIIème siècle ; les plans dont on dispose dans les archives sont fiables, et le seul intérêt des sondages a été de compléter sur la marge les informations qu'elles nous offrent...
Pas de quoi justifier des fouilles plus approfondies.
Si ce n'est qu'il faut impérativement faire ces fouilles. Pour qui ? Pourquoi ?

D'où l'intérêt du mythe des « statues géantes » et des « trésors enfouis » dans les caves de l'ancien musée des Beaux-Arts (Ouest-France 14 janvier 2018, c'est ici), qu'une habile campagne de communication est parvenue à faire avaler à la presse, locale et nationale. Malgré la très forte probabilité (ou la quasi-certitude, qu'on sent partagée par les auteurs de ce Rapport) de ne rien trouver de tout cela, à l'exception de quelques clous rouillés, et quelques fragments d'assiettes, « simples ustensiles du quotidien » des années 40, opportunément hissés au rang de « patrimoine mémoriel ». Il faudra bien pouvoir se raccrocher à quelque chose, quand la chasse au trésor se révélera infructueuse, comme prévu...

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Quand la machine administrative est lancée...

Au vu des résultats très décevants de ce diagnostic archéologique (du 9 septembre 2016), comment expliquer que le Service régional de l'archéologie (SRA, DRAC de Normandie) n'y ait pas vu (ou voulu voir) malice, et que, sur le rapport d'un de ses membres (éminent spécialiste sans aucun doute), une Commission interrégionale de la recherche archéologique (CIRA depuis rebaptisée CTRA) ait pu émettre début novembre 2016 un avis favorable à des fouilles approfondies, nécessitant « un décapage complet du site » ?

Consulter cet avis de la CIRA

C'est en tout cas sur la base de l'avis favorable de cette CIRA que M. Jean-Paul OLLIVIER (DRAC) prescrira la poursuite des fouilles, par arrêtés (préfectoraux) des 15 novembre 2016 et 19 juin 2017.
Et c'est sur la base de ces arrêtés des 15 novembre 2016 et 19 juin 2017 que M. LAPRIE-SENTENAC, par décision préfectorale du 19 janvier 2018, autorisera « l'enlèvement » (pour ne pas dire l'abattage, restons polis) d'une cinquantaine de tilleuls, « considérant que le projet contribue à l'étude scientifique du patrimoine archéologique de la parcelle qu'occupait l'ancien hôtel de ville et musée des Beaux-Arts de Caen »...
On voit mal comment le subordonné pourrait contredire l'avis de ses supérieurs, quand bien même il serait tenté de le faire. Mais on notera en passant que tout ce beau monde se contrefout manifestement du gaspillage inconsidéré d'argent public que représente cette opération, qui n'a plus rien à voir avec l'objectif initialement poursuivi, consistant à « mettre en évidence et (...) caractériser la nature, l'étendue et le degré de conservation des vestiges archéologiques éventuellement présents ». On attend maintenant avec beaucoup d'intérêt (s'il devait y avoir « décapage ») les résultats de l'« étude palynologique complète » qui nous est promise. Des pollens du XVIIème siècle ? Soupçonnerait-on les Eudistes d'avoir cultivé dans leurs jardins des plantes aux propriétés psychotropes ?

Il était décidément habile pour les promoteurs tant public que privés du projet de centre commercial Printemps-Caen/Sedelka-Europrom d'introduire poliment en amont (le 26 février 2016), à l'initiative (éminemment critiquable) de la municipalité, une « demande anticipée de prescription d'archéologie préventive ». Car une fois lancée, même à tort, la machine administrative empile décisions sur décisions qui trouvent chacune leur justification dans la précédente, et l'on était ainsi assuré qu'on aurait la peau des tilleuls de la place... et qu'on pourrait alors tranquillement vendre aux promoteurs un terrain "désencombré", et purgé des coûteuses contraintes d'éventuelles fouilles archéologiques qu'ils seraient ainsi dispensés de financer eux-mêmes...

Pour finir, je tiens à préciser que la mauvaise qualité et les conclusions contestables du Rapport de M. HINCKER (et/ou de ses collaborateurs) ne sont certainement pas à mettre sur le compte d'une quelconque insuffisance professionnelle. Il a fait tout bonnement ce qu'on lui demandait de faire, et a conclu dans le sens qu'on attendait. Mais avec plus de docilité que d'enthousiasme. Le spleen de l'archéologue qui sait qu'il n'y a rien à trouver, sans doute...

 


Et si quelque lecteur attentif veut vérifier le bien fondé des arguments avancés dans ce trop long texte, je tiens bien entendu à sa disposition une copie numérique du Rapport ici décortiqué.