lundi, 17 décembre 2018
Tamponnement et débit de fuite...
Sortie de route
à République
« Tamponnement et débit de fuite », ce titre a pu, j'en conviens, induire en erreur l'amateur de faits divers, insuffisamment attentif au choix fait des mots pour en rendre compte.
Mais, si les faits dont il va être question ci-après ne concernent nullement la police de la route (un quelconque carambolage dont l'auteur aurait refusé d'assumer la responsabilité en prenant la poudre d'escampette), ils intéressent au premier chef la « police de l'eau », et peut-être aussi la justice. Carambolage et carambouille font bon ménage, à la même page, dans le grand livre des maux. Et c'est pourquoi notre amateur de faits divers trouvera sans doute de quoi satisfaire sa curiosité, bien sûr malsaine, dans la petite histoire que nous allons lui conter. Les bons comptes font, dit-on, les bons amis. Surtout quand ce sont les autres qui payent les violons du bal.
De l'utilité du tamponnement
Mais trêve de bavardages, et précisons sans plus tarder ce qu'on entend par « tamponnement » et « débit de fuite », dans le jargon des services en charge de la police de l'eau: le « débit de fuite » est le « débit régulé en sortie d'ouvrage de tamponnement », lequel est l'ouvrage « destiné à stocker temporairement les eaux lors des pluies avant de les restituer au milieu récepteur dans des conditions acceptables ». (source : DDTM 59 «Doctrine Eaux Pluviales», août 2012).
Il arrive en effet que de fortes pluies, ou des pluies seulement abondantes et continues, sur des sols imperméables (le goudron des villes) ou gorgés d'eau, saturent les ouvrages d'évacuation des eaux pluviales, pas toujours dimensionnés pour faire face à la survenue de quantités importantes (pluies d'orage, par exemple). Des inondations peuvent s'ensuivre.
La solution à ces problèmes réside donc, quand c'est nécessaire, dans la construction d'ouvrages de tamponnement, c'est à dire de rétention temporaire des eaux. Des ouvrages dont l'importance sera dictée, dans le cas d'une construction nouvelle, par celle des surfaces imperméabilisées du fait de cette construction, et du volume des eaux que les toitures sont susceptibles de recevoir, notamment en cas d'épisode orageux.
Infiltration en zone imperméabilisée
Plus les surfaces imperméabilisées seront importantes (l'ancien parking arboré de la place de la République à Caen, par exemple, a une superficie supérieure à un demi-hectare), plus l'emprise au sol constructible tend à couvrir l'ensemble du terrain (c'est le cas sur ce terrain promis aux sociétés SECOPROM de M. Malek REZGUI et TOSCALEO CONSEIL de M. Laurent CHEMLA), et plus l'ouvrage devra être important, encombrant, et par conséquent coûteux.
Le mieux restant, bien entendu, de ne pas tout imperméabiliser, et de permettre l'infiltration sur le terrain, comme le préconise uniformément le Plan local d'urbanisme de Caen (PLU) sur toute ses zones (de UA à N en passant par UP, bien sûr), et donc aussi Upr, secteur défini tout exprès pour le projet de centre commercial de la place de la République, et approuvé, avec 24 autres modifications du PLU, le 4 avril 2017.
« Infiltration sur le terrain » bien sûr impossible place de la République pour le projet de MM. REZGUI (Sedelka) et CHEMLA (Le Printemps), car on y prévoit une imperméabilisation totale (emprise au sol de 100%) et un parking souterrain de 450 places, planté dans la nappe phréatique présente à environ 2 mètres de profondeur.
« Le rejet vers le réseau public d'assainissement » n'en est pas moins « limité à un débit de fuite fixé par le service gestionnaire... », comme on peut le constater dans le texte de l'article 4.2.2 du règlement du PLU zone UP (page 126), reproduit ci-dessous :
Dispense de tamponnement...
Qui dit débit de fuite limité dit évidemment tamponnement, comme on l'a vu plus haut, même si le service gestionnaire (qui dépend des autorités locales) consent sans doute dans certains cas à se montrer particulièrement compréhensif.
Pour satisfaire aux conditions posées par l'article 4.2.2 du règlement du PLU, le projet de MM. REZGUI et CHEMLA devrait donc prévoir la réalisation sur leur terrain d'un ouvrage de tamponnement, d'une capacité suffisante pour stocker une bonne partie des eaux tombées sur un demi-hectare de toitures lors d'un épisode pluvieux important.
Il n'est pas exclu qu'un ouvrage d'une capacité de 200 ou 300 mètres cubes s'avère nécessaire. Un ouvrage encombrant (que de volume perdu!), et coûteux.
Fort heureusement, les amis de MM. REZGUI et CHEMLA ont tout prévu, par la délibération du conseil municipal du 25 juin 2018 et le Cahier des charges notarié qui y est annexé, pour éviter à leurs protégés des contraintes techniques par trop pesantes, et partant des charges financières grevant par trop les profits escomptés.
C'est ainsi que l'article 4.2.3 du Cahier des charges de cession dressé le 15 juin 2018 par la SCP Barré Chuiton Lisch Violeau, notaires à Caen, dispense expressément les promoteurs du projet de centre commercial de toute réalisation d'un ouvrage de tamponnement, comme en témoigne la copie (partielle) ci-dessous :
Voilà pour la municipalité une manière un peu cavalière de faire voter par son conseil municipal une délibération qui, par cette dispense, incite par avance les acquéreurs du terrain à souscrire une demande de permis de construire en méconnaissance d'une règle du PLU (article 4.2.2 du règlement). Un permis illégal de ce seul fait.
Il serait sans doute inélégant de conclure ici à l'incompétence des services municipaux qui ont à la fois écrit tout exprès les règles, étonnamment peu contraignantes, du nouveau secteur UPr de la place de la République, et celles qui figurent dans le Cahier des charges de cession.
Il est vrai que les conseilleurs ne sont pas les payeurs, quoique...
Pour le tamponnement,
c'est le contribuable qui paye...
Bien entendu, si l'on dispense MM. REZGUI et CHEMLA de faire les frais de travaux qui leur incombent (et ce ne sont pas les seuls que la municipalité entend mettre à la charge de l'ensemble de ses administrés), cela n'empêchera pas la pluie de tomber.
Et la nécessité de la réalisation d'un ouvrage de tamponnement (ou de rétention des eaux pluviales, si l'on préfère) restait entière, compte tenu de l'imperméabilisation d'un demi-hectare de terrain par le projet de centre commercial.
Alors demandez-vous où se ferait le « rejet direct sans tamponnement dans le réseau d'Eaux Pluviales situé à proximité de la future construction ».
Mais bien évidemment dans l'énorme ouvrage enterré, d'une capacité de 220 m3 (pour une emprise au sol de 34m x 3m), réalisé en octobre dernier aux frais de la commune sur le domaine public (entre les rues Jean-Eudes et Auber), sur une bande de terrain jouxtant étroitement sur toute sa longueur le terrain promis à MM. REZGUI et CHEMLA.
C'est ainsi que la Ville a pris discrètement en charge la réalisation du « tamponnement » incombant aux promoteurs du futur centre commercial. Sans le crier sur les toits, ni en informer le menu fretin du conseil municipal.
Coût de l'opération inconnu, mais bien sûr compris dans les 9,95 millions d'euros de travaux actuellement en cours sur la partie restée publique de la place (source: Ouest-France, 26 mars 2018). Le prix de plusieurs semaines de travaux en effet, à commencer par les « fouilles spécifiques », hâtivement menées début octobre sur le site des principaux bâtiments de l'ancien Hôtel de Ville détruit en 1944 (ancien séminaire et église des Eudistes)...
Voilà, Caennais, à quoi servent vos impôts (car les travaux de construction de ce bassin de rétention des eaux pluviales sont terminés, même s'il ne doit jamais servir à rien).
Mais cette dépense n'aura peut-être pas été totalement inutile, si elle nous permet de montrer, à côté d'autres arguments tirés d'observations tout aussi édifiantes, que la vente de la moitié de la place de la République à MM. REZGUI et CHEMLA ne présente d'intérêt que pour ces derniers, et que la délibération du 25 juin 2018 doit être annulée par le Tribunal administratif, pour être entre autres entachée de détournement de pouvoir.
Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi (Horace)
Traduction libre, personnelle, et peu académique :
Quelques conneries que fassent les rois, ce sont les ilotes qui payent.
On peut bien sûr lui préférer la version du fabuliste :
Hélas ! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.
(La Fontaine, Les deux taureaux et une grenouille)
Et pour finir, un peu de musique:
"Caen, ma ville préférée" ("ville de joie, d'amour, et de passion")
de Michel GARDYL (années 60)
12:16 Écrit par Bruno dans Affaires municipales, La République n'est pas à vendre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : caen, place de la république, tamponnement, débit de fuite, police de l'eau, secoprom, sedelka, malek rezgui, toscaleo conseil, le printemps caen, laurent chemla, secteur upr du plu de caen, quidquid delirant reges, plectuntur achivi, délibération c-2018-06-2537 du conseil municipal de caen du 25 j
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