dimanche, 13 mai 2018
Ancien hôtel de ville place de la République, à Caen l'arnaque aux fouilles ? Premier acte.
Les p'tites embrouilles
Avant d'aborder la question des fouilles, de leur opportunité, de leur mise en œuvre étrangement prématurée, de leur possible utilité « collatérale » dans ce dossier, il convient, et je m'en excuse par avance, de rappeler (encore une fois!) le déroulement chronologique de l'opération « République »...
Génération spontanée d'un projet commercial ?
C'est lors de sa séance du lundi 29 juin 2015 que le Conseil Municipal de Caen, par sa délibération n° 9, décide à l'unanimité de prendre en considération un périmètre d'étude (entre l'avenue du Six Juin, la rue St Pierre, le boulevard Bertrand et la rue de Bernières), et de faire procéder à une étude complémentaire, dont on imagine qu'elle pourrait « induire des changements dans les circuits commerciaux, conduire à des aménagements particuliers, voire de nouveaux projets de construction qui permettraient de renforcer l'activité commerciale de la ville. ». Et la municipalité d'évoquer dans ce cadre « le principe d'une réflexion sur la Place de la République ».
En octobre 2015 celle-ci charge de cette étude le Cabinet Bérénice, naguère auteur pour l'équipe DURON d'une précédente étude sur le même thème... qui n'avait pas conclu à un quelconque intérêt de la place de la République pour la « redynamisation » du commerce de centre-ville (pour être expert dit « indépendant », on n'en a pas moins des clients, qu'il convient avant tout de satisfaire).
L'étude se déroule donc sur la fin 2015 et le début 2016, et c'est le 14 mars 2016 qu'en a lieu la présentation (sans vote) au Conseil Municipal de Caen, avec, en prime, la présentation (toujours sans vote) d'un « appel à projets République », pour la conception et la réalisation sur cette place publique, mais sur fonds privés, d'un bâtiment à vocation commerciale, comportant une (petite) partie consacrée à la vente ou la consommation sur place de produits locaux (la fameuse « halle gourmande », habillage publicitaire de l'opération).
A l'hôtel de ville, on est maintenant très pressés. La remise des candidatures est fixée au 15 juin. On entendra les trois candidats ayant présenté la meilleure offre les 4 et 5 juillet. Envoi des offres définitives suite à auditions le 8 juillet. Et Conseil Municipal de présentation de l'équipe lauréate le 11 juillet.
Mais ça ne se passera (quand même pas) comme ça. Et c'est le 17 octobre 2016, après des mois d'un suspense insoutenable et quelques petits bricolages supplémentaires, que le Conseil Municipal de Caen (point n° 3 de l'ordre du jour) apprendra (sans avoir son mot à dire) quelle est la fameuse équipe lauréate, celle bien sûr des régionaux de l'étape JEL- Diffusion (Laurent CHEMLA, Le Printemps Caen) associé à Sedelka-Europrom (familles JEAN et REZGUI).
Première pierre "Canal Park" le 25 janvier 2016 (photo site Sedelka)
Pour gagner la course, mieux vaut « anticiper »,
c'est-à-dire partir... avant les autres !
Suspense disions-nous. En fait, il conviendrait peut-être de rappeler ici les propos tenus, lors du conseil municipal du 11 juillet 2016 par M. Joël BRUNEAU, maire de Caen (page 17 du compte-rendu des débats) :
« Le 20 mars [2016], l'appel à projets a été lancé. Nous étions dans un calendrier relativement court. Depuis juin dernier [juin 2015, donc], moment où ce projet de redynamisation du centre-ville a été nettement identifié, un certain nombre d'opérateurs sont venus nous rencontrer pour savoir dans quel esprit nous souhaitions lancer cet appel à projets. Ils ont, en quelque sorte, anticipé la date du 20 mars. ».
Ceux-là, plus prévoyants et clairvoyants que d'autres, ont dès lors indéniablement bénéficié d'un inestimable temps d'avance sur leurs concurrents, qui n'ont eu droit qu'à moins de 3 mois pour tout boucler. Fut-ce le cas de MM. Laurent CHEMLA, Claude JEAN (fils et filles), et Malek REZGUI ?
« Un calendrier relativement court... »
En 7 mois (14 mars-17 octobre), ou au mieux 1 an tout compris (octobre 2015-octobre 2016), on a donc tout à la fois diagnostiqué les maux dont pourrait souffrir le commerce de centre-ville, trouvé le remède (la vente de la moitié d'une place publique pour y laisser construire un nouveau grand magasin), déniché le tandem d'entrepreneurs locaux prêts à relever le défi, et même obtenu par avance l'accord de l'Architecte des Bâtiments de France sur un permis de construire qui n'a pas même encore fait l'objet d'une demande (« Le projet qui sortira de cette ultime sélection reçoit d’ores et déjà l’aval de l’Architecte des Bâtiments de France », dixit Joël BRUNEAU, maire de Caen, en conseil municipal le 11 juillet 2016, page 24 du compte-rendu des débats)... La Normandie est décidément une terre de conquérants...
Encore fallait-il que le terrain soit constructible. Il l'est depuis le 4 avril 2017, mais ne le restera que si le juge administratif, dans sa décision mise en délibéré au 17 mai rejette le recours que Xavier LE COUTOUR, conseiller municipal et maire-adjoint à l'urbanisme sous Philippe DURON, lui avait soumis il y a près d'un an, lui demandant d'annuler la modification n° 2 du PLU de Caen (PLU = plan local d'urbanisme). Et ce terrain ne resterait constructible, en outre, que si la Cour administrative de Nantes (dans un, deux, ou trois ans) confirmait cet éventuel rejet, puisque Xavier LE COUTOUR a d'ores et déjà fait savoir qu'il ferait appel d'une décision qui lui serait défavorable...
Rappelons que cette modification n° 2 fut approuvée le 4 avril 2017 par la communauté urbaine Caen la mer (40 délégués du conseil municipal de Caen sur un total de 113 représentants des communes membres de la communauté, comme Troarn, Brouay, ou Tilly la Campagne, par exemple...), et non par le conseil municipal de notre ville, pourtant bien autrement concernée...
Cette modification n° 2 du PLU portait sur 25 points différents, au nombre desquels l'invention d'un secteur UPr , "zone de projet dédiée à l'activité et au commerce", là où le PLU de 2013 (et tous les POS de Caen avant lui) ne voulait voir qu'un emplacement réservé n° 3 (pour parking et espace vert)... Mais restons-en là pour le moment. Parce que ce qui m'intrigue présentement est ailleurs...
Archéologie et roman d'anticipation
Ce qui m'intrigue en effet, c'est cette « demande anticipée de prescription d'archéologie préventive présentée par la ville de Caen, pour le projet « Place de la République », reçue par le Service régional de l'archéologie le 26 février 2016. Un projet qui n'existe pas encore, ou alors dans quelque obscur tiroir chez ses promoteurs prévoyants et clairvoyants (voir plus haut)?
Autre motif d'étonnement, l'étonnante réactivité de l'administration des affaires culturelles (DRAC), dont le directeur régional, M. Jean-Paul OLLIVIER, signe dès le 1er mars 2016 (année heureusement bissextile) un arrêté disposant en son article premier qu'une « opération de diagnostic archéologique » soit « mise en œuvre préalablement à la réalisation du projet » (toujours ce projet qui n'existe pas encore officiellement, mais dont cet arrêté précise qu'il s'agit, aussi, d'un parking souterrain).
Huit jours plus tard, le 8 mars, un autre arrêté signé Cyrille BILLARD attribue la réalisation du fameux diagnostic au « Service archéologie du Calvados ». Et c'est enfin M. Vincent HINCKER qui est retenu comme responsable des opérations, par « arrêté de désignation n° 16-2016-152 en date du 20 mai 2016 »...
Bref, en théorie, on ne sait pas à la mairie fin février 2016 ce qu'on va faire, mais on n'a rien de plus pressé que de savoir ce qu'il y a dans le trou qu'on laissera à des sociétés privées le soin de creuser, sur un terrain qu'il faudra leur vendre, qui n'est pas encore cessible car appartenant encore pour de longs mois au domaine public, et qui n'est pas même constructible...
L'archéologie au secours des affaires ?
Cette « demande anticipée de prescription d'archéologie préventive présentée par la ville de Caen, pour le projet « Place de la République » est d'autant plus étrange que, selon le Livre V du Code du patrimoine (articles L.523-8 et R.523-41 notamment), si « L'Etat assure la maîtrise scientifique des opérations de fouilles d'archéologie préventive (...) Leur réalisation incombe à la personne projetant d'exécuter les travaux ayant donné lieu à la prescription... » (art. L.523-8) et « Les opérations de fouilles archéologiques prescrites par le préfet de région ou, pour les opérations sous-marines, par le ministre chargé de la culture, sont réalisées sous la maîtrise d'ouvrage de l'aménageur. » (R.523-41)
Or la ville de Caen n'est pas, n'a jamais voulu et ne veut pas être l'aménageur de la parcelle KX 61 (l'ancien parking planté de la place de la République), comme le montre sa recherche d'un opérateur privé, depuis mars 2016 (ou bien avant, voir plus haut), pour acquérir cette parcelle et y construire un centre commercial....
Alors pourquoi l'équipe BRUNEAU veut-elle à tout prix, et dans la précipitation, faire les frais (avec l'argent des contribuables, bien sûr) de travaux (fort coûteux) qui ne lui incombent pas ?
A défaut d'avoir, pour le moment, la réponse à cette question fondamentale, il n'est peut-être pas inutile d'aller nous aussi gratter sur le terrain de ces fouilles, de ces sondages effectués du 1er au 18 juin 2016, de ce « Rapport final d'opération Diagnostic archéologique » d'août 2016, et des arrêtés préfectoraux qui, sur la base de ce rapport, ont prescrit le « décapage complet jusqu'au niveau d'apparition des vestiges » du terrain d'assiette du projet de parking + centre commercial, et la fouille des caves de l'ancien musée des Beaux Arts.
Des trésors enfouis à redécouvrir, ou une énorme farce ? (à suivre: Acte II La grande farfouille)
10:46 Écrit par Bruno dans Affaires municipales, La République n'est pas à vendre, Urbanisme et logement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : caen, place de la république, ancien hôtel de ville, séminaire des eudistes, joël bruneau, sonia de la provôté, véronique debelle, conseil municipal, cabinet bérénice, demande anticipée de prescription d'archéologie préventive, diagnostic archéologique, drac jean-paul ollivier, cyrille billard, karim gernigon, service archéologie du calvados, vincent hincker, dominique laprie-sentenac, abf, architecte des bâtiments de france, jel diffusion, laurent chemla, le printemps caen, sedelka-europrom, claude jean, malek rezgui, le norway, modification n° 2 du plu de caen, communauté urbaine caen la mer, secteur upr zone de projet dédiée à l'activité et au commerce, xavier le coutour, déclassement de l'ancien parking à barrières, abattage des tilleuls