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dimanche, 20 juin 2010

Bouygues à Caen au 32 rue Desmoueux (ainsi que rues aux Juifs et Sophronyme Beaujour), et son légendaire respect de l’environnement naturel et bâti...

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« Villa Monceau », ma pelle et mon râteau...
ou la farce d’un POS protecteur des jardins...

On ne fait plus aujourd’hui de « résidences », terme désormais réservé à l’habitat populaire, voire social. On construit des « villas »: « Villa Mathilde », « Villa des Dames », « Villa de Tourville », « Villas du Colisée », « Villa Monceau », et j’en passe... Ce terme de « villa » a dû obtenir l’oscar de l’emballage dans l’un de ces nombreux « salons » où les commerciaux des promoteurs chassent le pigeon, naguère appâté par les mirages de la défiscalisation et de la plus-value rapide, aux temps de la bulle immobilière.
Peu importe que ces « villas » n’aient de la villa que le nom, et ne soient que des pâtés de béton, semblables aux pâtés de béton de la concurrence, comme il s’en construit alentour. L’important n’est-il pas de faire du fric, le maximum de fric, en fourguant à ceux qui en ont (ou qui ont les moyens d’en emprunter) le maximum de mètres carrés aux prix encore soutenus (et inaccessibles au plus grand nombre) qui sont ceux du marché ?
Dans ces conditions, il n’est pas inutile d’accoler au terme de « villa » une référence à un site prestigieux, quand les références locales encore disponibles manquent de panache. C’est sans doute pour cette raison que le dernier opus projeté dans notre bonne ville par la société BOUYGUES IMMOBILIER (une société au goût très sûr à laquelle on doit la destruction in extremis de l’escalier de la Chambre de Commerce, à la veille de son classement)... s’est vu sobrement affublé du nom de « Villa Monceau ».
Il faut bien vendre, et ces ventes se font aujourd’hui en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement). D’où le soin apporté aux petits détails comme le nom (ronflant) et la documentation (beau papier, images de synthèse flatteuses). Peu importe qu’à réception des travaux le résultat soit moins grandiose. La référence au parc Monceau dans le 8ème arrondissement de Paris n’est donc, bien sûr, ni fortuite ni gratuite. Ce nom évoque immanquablement les immeubles de luxe et les hôtels particuliers qui le bordent. Il y a beau temps qu’on ne vend plus des « maisons de maçon », mais bien plutôt de l’investissement supposé rentable, et du rêve de parvenus. En ce sens l’appellation de « Villa Monceau » n’est pas totalement usurpée, sachant que le lotissement d’une bonne moitié du parc Monceau au XIXème siècle est l’oeuvre du banquier Pereire. Le Bouygues de l’époque. Evidemment plus soucieux de retour sur investissement et de profits conséquents que de protection de l’environnement...

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Le quartier tant convoité du Jardin des Plantes »

C’est pourtant l’environnement qui fait vendre: la proximité du Jardin des Plantes, quelques panneaux solaires pour le label BBC (Bâtiment Basse Consommation), label autorisant l’heureux acquéreur-occupant (à crédit, de préférence in fine) à bénéficier d’un crédit d’impôt majoré (quand les textes d’application seront parus, s’ils paraissent un jour), ainsi que le pittoresque allégué de « quelques ruelles qui bordent le Jardin des Plantes »... On ne recule devant rien chez Bouygues quand il s’agit de faire l’article à un client qui ne mettra peut-être jamais les pieds à Caen. Alors pourquoi ne pas brosser le tableau outré d’un « espace de vie privilégié », d’un « havre de paix à proximité de tout », comme un îlot de confort et de modernité au beau milieu d’une ville aussi grouillante que médiévale, sans doute... Le papier glacé ne refuse pas l’encre grasse.
Le rédacteur de cet argumentaire de vente est-il seulement venu à Caen, qui ignore si totalement le cimetière des Quatre Nations, îlot de verdure derrière son mur d’enceinte, juste en face, de l’autre côté de la rue Desmoueux ?
A vous de voir:

http://www.immoo.com/programme/22573/details/index.html

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« Préserver les jardins... », ou les bétonner ?

Le terrain de 1117 m² sur lequel devrait être réalisé la « villa Monceau » (actuellement occupé par une grande maison dessinée par l’architecte Pierre AUVRAY, décédé en 2009) est situé en secteur UAb du POS de décembre 2000, un secteur « correspondant aux maisons de ville du centre ancien » et « soumis à des règles d’emprise visant à en préserver les jardins ». (Caractère général de la zone UA, page 12 du Règlement).
Belle déclaration d’intention, qui ne coûte rien. Car son hypocrisie saute aux yeux dès qu’on examine d’un peu plus près les dispositions concrètes prévues par les différents articles du règlement.
L’article UA6 prévoit ainsi l’implantation des constructions à l’alignement de toutes les voies publiques ou privées existantes, sauf existence d’un front bâti en retrait. L’article UA6 impose quant à lui que « les constructions doivent occuper toute la largeur du terrain jusqu’aux limites latérales... à l’intérieur d’une bande de constructibilité parallèle à l’alignement... », dont l’épaisseur est fixée à 13m en secteur UAb. « Au delà de cette bande, seules sont autorisées les constructions attenantes au bâtiment [principal] (...)  édifiées en adossement aux bâtiments contigus existants [sur la propriété voisine]... » ainsi que « les constructions implantées en limite séparative et d’une hauteur inférieure à 3,50m ». Le coefficient d’emprise au sol est par ailleurs de 100% à l’intérieur de la bande de constructibilité, et de 30% au delà dans ce secteur UAb. Les parkings souterrains ou semi-enterrés ne sont en outre pas pris en compte dans le calcul de l’emprise au sol (article UA9).
Mais venons-en aux jardins (ou espaces dits verts) avec l’article UA13: ils seront ici de 50%... des espaces libres. Je traduis: de 50% des espaces non construits après application des règles précédentes... s’il en reste !
Supposons en effet un terrain quadrangulaire de 26m de côté (676 m²), en bord de rues sur 3 de ses côtés comme ici (petite base du trapèze sur la rue Desmoueux, et 2 côtés en oblique sur les rues aux Juifs et Sophronyme Beaujour). Ce terrain pourra être construit sur toute sa surface, sans laisser d’espace libre pour le moindre jardin...
Mais notre terrain est trapézoïdal, et pour peu qu’on n’ait pas usé de la faculté de construire en fond de parcelle (sa grande base en limite séparative) des annexes de 3,50m de hauteur sur 30% des surfaces restantes, on aura peut-être au centre des constructions une étroite cour triangulaire, pour moitié artificiellement  végétalisée, et réglementairement plantée d’un seul et unique arbre de haute tige (une obligation par tranche de 200 m² d’espaces dits verts)...
Voilà comment, concrètement, le POS en vigueur « préserve les jardins », comme il le prétend... Le PLU de MM. LE COUTOUR et DURON ne sera assurément ni plus protecteur, ni moins hypocrite...
Quoi qu’il en soit, c’était là sans doute (dans ces généreuses dispositions du POS encore en vigueur pour quelques années, grâce aux mêmes), tout l’intérêt de ce terrain pour la société BOUYGUES IMMOBILIER, un terrain si heureusement configuré qu’il permet une rentabilisation optimale du capital investi dans son acquisition...


Les antécédents caennais de Bouygues

Entendons-nous bien: le promoteur immobilier n’a pas pour mission d’aménager la ville au mieux des intérêts de tous ses habitants (c’est normalement celle des élus, quand ils ne sont pas totalement dépourvus d’étoffe). Il est normal dans une économie de marché qu’il n’ait pour guide, dans le respect de la réglementation en vigueur, que ses intérêts propres, exclusivement financiers. Quand cela ne compromet pas ses intérêts (et éventuellement peut les servir), il arrive même parfois qu’il puisse se montrer respectueux du contexte paysager ou culturel de son intervention.
C’est assez rare, mais ce n’est pas en tout cas la manière de Bouygues, comme en témoigne la destruction, en 2003, de l’escalier réalisé par Raymond SUBES pour la Chambre de Commerce... Rappelons que ce dernier est, avec Edgar Brandt et Gilbert Poillerat, une des références majeures en matière de ferronnerie d’art au cours de l’entre-deux-guerres, et après. Cet escalier, en forme de point d’interrogation et entièrement suspendu, dans sa cage en briques de verre (seule subsistante), faisait référence. Mais que ne ferait-on pas chez Bouygues pour gagner quelques mètres carrés de SHON supplémentaires, et les quelques milliers d’euros qui en sont le prix !


Démolition d’une maison signée Pierre AUVRAY...

La maison du 32 rue Desmoueux ne mérite pas, quant à elle, une protection spéciale au titre des monuments historiques ou du patrimoine contemporain. Il s’agit cependant d’une réalisation de belle facture, dans le goût des années d’après-guerre (construction en cours en 1958, voir ci-après les 2 photos du chantier en voie d’achèvement, en 1958, signées R.J. Paté).

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C’est là une oeuvre de l’architecte Pierre AUVRAY, décédé à 105 ans le 7 février 2009, auquel on doit, par exemple, la reconstruction de la Banque de France (avenue de Verdun, en association avec Paul TOURNON), le beau bâtiment de la CAF avenue du 6 juin (1954), l’église de Mondeville (1935-1936), plusieurs cliniques (Miséricorde, Pasteur), le CAC Baclesse (en association avec Henry BERNARD), la crèche de la rue Gémare, la quincaillerie Legallais-Bouchard devenue un temps BHV, etc. Il me faudrait évidemment plusieurs pages pour dresser la liste des édifices qu’il a conçus, en une cinquantaine d’année d’activité professionnelle...
J’en resterai donc là, sauf à signaler aux curieux que Pierre AUVRAY a aussi légué à la bibliothèque de Caen plusieurs centaines de livres et documents relatifs à l’art de bâtir, certains fort anciens et précieux comme un Philibert de l’Orme de 1568, consultables sur place au fonds normand.
J’ajouterai seulement, pour conclure, ce jugement porté par lui sur le travail des architectes des années 50 à 70, et ceux d’aujourd’hui (propos rapportés par Didier Marie dans un article paru dans Ouest-France, en date des 16 et 17 décembre 1995):
« On a fait des parallélépipèdes simples, rationnels, fonctionnels, parfois harmonieux, parfois horribles. Maintenant, c’est courbes, obliques et pointes; ça me paraît souvent mode, cher et peu fonctionnel. Mais bon, on verra avec le recul du temps ».

S’agissant des réalisations de BOUYGUES IMMOBILIER, comme cette « Villa Monceau », c’est tout vu. C’est mode, cher, et sans le moindre souci environnemental. Chez ces gens-là, on ne pense pas, on compte.