dimanche, 14 février 2010
De la rédaction approximative des arrêtés préfectoraux...
La tactique du gendarme...
La bombe de la Saint Valentin
Caen, dimanche 14 février 2010, jour de la Saint Valentin. Long hurlement de sirène à 9 heures pétantes. A partir de ce moment, dans un rayon de 800 mètres autour du chantier de la future « Maison des langues et de l'international », où une bombe a été découverte fin janvier, il ne devra plus se trouver âme qui vive, à l'exception des forces de sécurité. C'est là l'unique disposition contraignante (mise à part l'interdiction, tout anecdotique, de « survol aérien ») prévue par les articles 1 et 3 de l'arrêté préfectoral du 3 février 2010 (sous référence SIDPC, pour service interministériel de défense et de protection civile).
L'article 6 prévoit bien sûr que « Toute contravention au présent arrêté sera constatée par procès-verbal et poursuivie conformément aux lois et règlements en vigueur ». Curieusement, cet arrêté comporte aussi un article 7, signalant la possibilité d'en contester les dispositions devant la juridiction administrative... dans un délai de deux mois à compter de sa « notification » (mais à qui d'autre qu'un petit nombre d'autorités cet arrêté, simplement affiché en préfecture et en mairie, a-t-il donc été notifié ?). On peut ainsi sérieusement douter de l'opportunité et de la pertinence de cette dernière disposition...
Principe de précaution
Il n'est bien entendu pas question de critiquer les mesures prises, semblables à celles adoptées récemment à Nantes ou à Brest, dans des cas similaires (même périmètre de sécurité de 800 mètres de rayon, etc.). Il n'est évidemment pas possible, sauf à faire le choix de dispositions extraordinairement complexes (et donc inapplicables) de différencier la nature du risque selon la configuration des lieux. D'où un périmètre déterminé d'un simple coup de compas, incluant de ce fait pas mal d'endroits à l'abri de tout risque tant soit peu significatif.
Un an de prison et 15.000 € d'amende...
Pas de critique donc sur le dispositif purement technique. Mais (on s'y attendait) j'ai quand même trouvé à redire. En effet, dans le courrier distribué aux habitants concernés, conjointement signé par le maire et le préfet, il était prévu que des agents assermentés de la ville passeraient à domicile pour effectuer le recensement des besoins des habitants en question.
En ce qui me concerne, j'ai reçu mardi dernier la visite d'un agent de la police municipale, dans le cadre de cette mission, qui avait nécessairement donné lieu à une séance de formation des personnes qui en étaient chargées.
En limite du périmètre de sécurité, et d'un naturel taquin comme on sait, j'ai demandé à ma visiteuse si elle pouvait me montrer la décision m'ordonnant d'évacuer le dimanche suivant. Elle n'en avait pas de copie, et j'ai d'ailleurs moi-même eu du mal à trouver le texte de cet arrêté... Je lui ai ensuite demandé ce qu'il arriverait aux personnes refusant d'évacuer. Réponse du tac au tac : un an de prison et 15.000 € d'amende... Bigre ! L'insubordination coûte décidément de plus en plus cher... Mais, gentille, elle m'a quand même dit en partant que je ne prenais pas de tels risques si je restais calfeutré chez moi. J'ai eu depuis confirmation de cette tolérance en lisant le numéro de Liberté daté de jeudi.
Mon interlocutrice, comme moi-même, ne connaissait sans doute pas le Code pénal par cœur. J'ai depuis quant à moi vérifié à quoi correspondaient les lourdes peines annoncées, qu'on lui avait certainement donné pour instruction d'évoquer, dans l'argumentaire destiné aux réfractaires à l'évacuation. Gouverner, c'est punir. On peut grogner certes, mais il faut marcher. Si besoin à coups de bâton...
Contravention de première classe
Si on a la curiosité de consulter attentivement l'arrêté préfectoral du 3 février 2010, on constatera en effet qu'il vise le Code pénal, « et notamment son article L.223-1 » (1 an de prison et 15.000 € d'amende), sans y faire à nouveau une aussi précise référence en son article 6, ainsi conçu : « Toute contravention au présent arrêté sera constatée par procès-verbal et poursuivie conformément aux lois et règlements en vigueur ».
Un article 6 qui pêche ainsi par insuffisance de motivation, montre que son rédacteur est conscient de la référence incongrue à l'article 223-1 du Code pénal (exposition directe d'autrui à un risque de mort ou de blessures), et signale son ignorance des textes précis qui pourraient être invoqués pour punir les agissements de quiconque ne se serait pas plié aux injonctions de M. le Préfet du Calvados.
Je crois être en mesure d'apporter mon aide à ce valeureux fonctionnaire, et, sous réserve de vérification, je lui propose d'évoquer la prochaine fois l'article R.610-5 du même Code pénal : « La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 1re classe. »
Moins convaincant que la perspective d'un an de prison et 15.000 € d'amende, assurément...
Citoyens ou sujets ?
Reste que je suis personnellement peu réceptif aux arguments du type menaces de coups de bâtons. Et suis convaincu qu'en démocratie les autorités doivent considérer leurs administrés comme des êtres doués de raison qu'on doit d'abord convaincre, et non effrayer et contraindre d'emblée, comme des mineurs et autres personnes sous tutelle.
Il est vrai que sous Sarközy 1er (mais déjà bien sûr sous Villepin, ministre de l'Intérieur de Chirac via Raffarin), l'état d'urgence, le soupçon, la menace et le quadrillage policier à tout propos sont devenus des méthodes d'usage banal et quotidien...
Il serait peut-être temps de se secouer !
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