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vendredi, 17 octobre 2014

Contrôle des chômeurs: salauds de pauvres, ou les petitesses du Grand soir...

Cela fait belle lurette que je ne compte pas sur les journaux télévisés pour m'informer, mais un (malheureux) concours de circonstances a fait que mercredi dernier (15 octobre 2014), j'attendais devant un petit écran que le temps passe, et regardais d'un oeil distrait le "Grand soir 3" (sur Rance 3) quand, après une vingtaine de minutes, un des sujets abordés retint mon attention, et me fit bientôt bondir...

Après 18 minutes 37 exactement d'aimable baratin, le présentateur et sa complice (on appelle ça des journalistes paraît-il) abordèrent en effet l'intéressant sujet des salauds-de-chômeurs-qui-ne-cherchent-pas-de-travail.

Qu'on ne se méprenne pas, je ne plaide pas pour ma paroisse; j'ai quant à moi le bonheur de toucher une petite retraite, et si j'ai pu avoir affaire à Pôle Emploi, c'était du temps du couple ANPE-ASSEDIC, il y a une trentaine d'années. Cette parenthèse refermée, signalons à ceux qui voudraient vérifier la véracité de ce que je vous raconte qu'ils peuvent le faire en activant le lien suivant:

http://pluzz.francetv.fr/videos/grand_soir_3_,110275934.html

et en y sacrifiant 5 minutes environ de leur précieux temps (après une minute de pub obligatoire, aller tout de suite à 18:37, la fin est vers 23:20).

 

Flagrante malhonnêteté intellectuelle

Je ne vais pas tout vous raconter, mais ça ne fait pas dans la dentelle. Ainsi, dans le Var, 20% des chômeurs ne rechercheraient pas vraiment un emploi. Un chômeur indemnisé sur 5 serait un fraudeur. Sans doute un effet des cieux cléments de cette heureuse région, où l'on peut certainement vivre pendant des années de l'air du temps (comme en Grèce ?). Car on ne se soucie évidemment pas, dans cette très brève et très brillante analyse, des millions d'autres chômeurs non indemnisés, et des travailleurs contraints au temps partiel, ou à des cumuls de petits boulots pour un salaire de misère... Non bien sûr, il s'agit seulement de débusquer les profiteurs, la "fraude sociale" tellement à la mode aujourd'hui...

Illustration (car à la télé, pas d'info sans images, quelle qu'en soit la pertinence): c'est à Toulon (on y aime la Marine, nationale bien entendu, et on a droit en ouverture à un salut au drapeau dont on peut se demander ce qu'il vient faire là); deux patronnes de restaurants y disent ne pas trouver d'employés, les chômeurs qui répondent à leurs offres d'emploi venant seulement chercher auprès d'elles une preuve de leurs démarches infructueuses dans leur recherche d'emploi... Elles ne disent pas bien sûr quels salaires et conditions de travail elles proposent, ni si ceux qui se présentent sont bien de la partie, et si leur candidature leur conviendrait. Bref, tout enquêteur sérieux dirait que le panel est bien mince, et le témoignage sujet à caution...

Qu'à cela ne tienne, on va ensuite interroger un patron d'entreprise informatique, à la recherche d'ingénieurs spécialisés. Lui se plaint... que Pôle Emploi lui envoie des gens qui n'ont pas les qualifications et les compétences qu'il demande ! Quel rapport avec le sujet (la prétendue fraude massive aux allocations des faux chômeurs) ? Aucun...

 

Où est passée la "fraude" annoncée ?

On apprendra aussi que, suite aux contrôles effectués par Pôle Emploi à Toulon, c'est 6,5% des chômeurs du cru qui ont été radiés (et non 20% de faux chômeurs comme claironné par ailleurs !). L'on sait la multiplicité des motifs de radiation, et pas seulement pour défaut de recherche active d'emploi...

Pour faire bonne mesure, on interroge aussi un employé de Pôle Emploi, qui déplore l'insuffisance des moyens humains dont dispose l'institution, non (seulement) pour faire la chasse à la fraude (elle existe sans doute, à la marge, comme la fraude fiscale des plus fortunés, ministres compris, ou comme les abus de biens sociaux de certains dirigeants d'entreprises, y compris publiques, voire télévisuelles...), mais pour faire simplement son travail, qui est de mettre en relation demandeurs d'emploi et entreprises en situation d'embaucher...

Toujours dans le cadre de ces 5 minutes d'antenne, on aura droit encore (sans doute par souci d'équilibre) à l'intervention d'une représentante d'association de chômeurs, qui naturellement n'est pas hostile à un contrôle de la réalité de la recherche d'emploi, lequel s'exerce d'ailleurs depuis toujours, bien évidemment. Et pour finir, c'est au correspondant à Berlin qu'on fait appel, pour évoquer le "modèle allemand"...

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Radio Paris ment, Radio Paris est allemand...

Celui-ci nous apprend qu'en Allemagne, le contrôle des chômeurs c'est du sérieux et du rigoureux. Beaucoup de contrôles, beaucoup de sanctions. Ach ! la légendaire discipline allemande ! Service du travail obligatoire, et tutti quanti (ça, c'est pour Benito). Pas question de tirer au flanc, sinon c'est un tiers d'allocations en moins pour un refus d'emploi pas ou mal motivé, 10% en moins pour un rendez-vous manqué avec le conseiller de Pôle Arbeit, 15% au second... et pour finir, au bout d'un an, un travail d'intérêt général à 1,5 € de l'heure. Travail macht frei...

Est-ce là un système efficace, et lui doit-on le taux de chômage allemand, qui est, on le sait, inférieur au nôtre ? ce n'est pas sûr, conclut le correspondant à Berlin.

Bien évidemment, car, sauf à croire bêtement que des secteurs entiers des économies allemandes et françaises fonctionneraient au ralenti faute de trouver du personnel, et qu'ils pourraient offrir quelques millions d'emploi pour peu que les chômeurs renoncent à se tourner les pouces, ce n'est évidemment pas par des contrôles et des sanctions qu'on réglera la question du chômage de masse, laquelle est en la matière la seule question qui vaille... 

 

La France est un pays de flics...

Mais l'important n'est-il pas pour certains aujourd'hui de désigner la brebis galeuse, celle de qui on peut craindre qu'elle ait contaminé tout le troupeau, le chômeur, bien trop généreusement indemnisé et par principe suspect de profiter d'enviables loisirs (qu'il souhaite prolonger) aux frais de l'honnête travailleur (qui se lève tôt comme on sait).

Le clou du spectacle, c'est la question censée posée aux gogos de téléspectateurs: Pôle Emploi doit-il renforcer le contrôle des chômeurs ? Ils sont 10316 à y répondre, dont 9,6% ne se prononcent pas, 23,1% répondent négativement, et 63,7% (écrasante majorité) sont favorables à un renforcement des contrôles (tradition française de délation: mon voisin est juif, franc-maçon, résistant, etc.). L'utilisation de ce procédé par une chaîne publique, avec affichage à l'écran d'un panneau bien lisible, n'est bien sûr pas anodin. Vox populi, vox Dei. Le peuple s'est prononcé. Et pourtant...

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L'utile technique du sondage bidon

Qui a posé la question, où et quand, et sur la base de quelles informations ? D'après le panneau apparu à l'écran, la question est celle de Grand soir 3 et Francetvinfo.fr... " avec linternaute.com". S'agissant de ce site (commercial), on peut se faire une idée du sérieux des "sondages" qu'il organise (thèmes, mode d'expression de l'opinion) à la page:

http://www.linternaute.com/questionnaire/sondage/

Il ne semble d'ailleurs pas qu'il ait récemment posé cette question à ses lecteurs.

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Reste que si des internautes se sont exprimés sur ce sujet (si leurs réponses sont au nombre de 10316 ou sont comptabilisées dans ce nombre), il n'est évidemment pas possible d'accorder le moindre crédit à leurs "votes", et d'en faire une image vraisemblable de l'opinion de nos concitoyens. Pourquoi seraient-ils représentatifs de l'ensemble de ceux-ci, quand il est impossible de vérifier qui ils sont (âge, sexe, lieu de résidence, catégorie socio-professionnelle), ni même s'ils n'ont pas pu enregistrer plusieurs fois la même réponse...

On sait par contre l'influence qu'exerce sur l'opinion moutonnière la publication de tout sondage, sondage bidon compris... Est-ce là l'effet recherché par tout ce battage nauséabond ?