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vendredi, 15 juin 2012

Campagne électorale dans le crottin, printemps 1848…

Bouvard et Pécuchet, Flaubert, élections

Chavignolles, trou normand.

A force de bavarder, Gorju se fit un nom. Peut-être qu’on le porterait à l’Assemblée.
M. de Faverges y pensait comme lui, tout en cherchant à ne pas se compromettre. Les conservateurs balançaient entre Foureau et Marescot. Mais le notaire tenant à son étude, Foureau fut choisi : un rustre, un crétin. Le docteur s’en indigna.
Fruit sec des concours, il regrettait Paris, et c’était la conscience de sa vie manquée qui lui donnait un air morose. Une carrière plus vaste allait se développer ; quelle revanche ! Il rédigea une profession de foi et vint la lire à MM. Bouvard et Pécuchet.
Ils l’en félicitèrent ; leurs doctrines étaient les mêmes. Cependant, ils écrivaient mieux, connaissaient l’histoire, pouvaient aussi bien que lui figurer à la Chambre. Pourquoi pas ? Mais lequel devait se présenter ? Et une lutte de délicatesse s’engagea. Pécuchet préférait à lui-même son ami. « Non, ça te revient ! tu a plus de prestance !
- Peut-être, répondait Bouvard, mais toi plus de toupet ! » Et sans résoudre la difficulté, ils dressèrent des plans de conduite.
Ce vertige de la députation en avait gagné d’autres. Le capitaine y rêvait sous son bonnet de police, tout en fumant sa bouffarde, et l’instituteur aussi, dans son école, et le curé aussi entre deux prières, tellement que parfois il se surprenait les yeux au ciel, en train de dire : « Faites, ô mon Dieu ! que je sois député ! »
Le docteur, ayant reçu des encouragements, se rendit chez Heurtaux, et lui exposa les chances qu’il avait.
Le capitaine n’y mit pas de façons. Vaucorbeil était connu sans doute, mais peu chéri de ses confrères et spécialement des pharmaciens. Tous clabauderaient contre lui ; le peuple ne voulait pas d’un Monsieur ; ses meilleurs malades le quitteraient ; et, ayant pesé ces arguments, le médecin regretta sa faiblesse.
Dès qu’il fut parti, Heurtaux alla voir Placquevent. Entre vieux militaires, on s’oblige ! Mais le garde champêtre, tout dévoué à Foureau, refusa net de le servir.
Le curé démontra à M. de Faverges que l’heure n’était pas venue. Il fallait donner à la République le temps de s’user.
Bouvard et Pécuchet représentèrent à Gorju qu’il ne serait jamais assez fort pour vaincre la coalition des paysans et des bourgeois, l’emplirent d’incertitudes, lui ôtèrent toute confiance.
Petit, par orgueil, avait laissé voir son désir. Beljambe le prévint que, s’il échouait, sa destitution était certaine.
Enfin Monseigneur ordonna au curé de se tenir tranquille.
Donc il ne restait que Foureau.
Bouvard et Pécuchet le combattirent, rappelant (…) ses idées rétrogrades, son avarice, et même persuadèrent à Gouy qu’il voulait rétablir l’ancien régime.
Si vague que fût cette chose-là pour le paysan, il l’exécrait d’une haine accumulée dans l’âme de ses aïeux, pendant dix siècles, et il tourna contre Foureau tous ses parents et ceux de sa femme, beaux-frères, cousins, arrière-neveux, une horde.
Gorju, Vaucorbeil et Petit continuaient la démolition de M. le maire ; et le terrain ainsi déblayé, Bouvard et Pécuchet, sans que personne s’en doutât, pouvaient réussir.
Ils tirèrent au sort pour savoir qui se présenterait. Le sort ne trancha rien, et ils allèrent consulter là-dessus le docteur.
Il leur apprit une nouvelle. Flacardoux, rédacteur du Calvados, avait déclaré sa candidature. La déception des deux amis fut grande : chacun, outre la sienne, ressentait celle de l’autre. Mais la politique les échauffait. Le jour des élections, ils surveillèrent les urnes. Flacardoux l’emporta.  

C’était un extrait du chapitre VI de Bouvard et Pécuchet, que les pingres peuvent lire en ligne à l’adresse suivante :
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/flaubert_bouvard_et_pecuchet.pdf